
La bataille pour la succession de Dominique Strauss-Kahn à la tête du FMI a commencé et se joue entre Européens et pays émergents. Ces derniers espèrent mettre un terme à plus de 70 ans de présidence européenne.
Le débat autour de la succession de Dominique Strauss-Kahn à la tête du Fonds monétaire international (FMI) est lancé depuis mardi. Il "n’est plus en mesure de diriger le FMI" a estimé, mardi soir, Timothy Geithner, le secretaire d’État américain au Trésor, avant d’appeler à un changement rapide à la tête de l’institution. Même son de cloche en France : "La question de la succession devra être réglée dans les jours qui viennent", a affirmé mercredi Jean-François Copé, le patron de l’UMP.
Encore faut-il s'accorder sur le nom d'un remplaçant. Le départ de Dominique Strauss-Kahn sera-t-il l’occasion de mettre un terme à plus de 70 ans de présidence européenne du FMI ? Les pays émergents espèrent bien saisir l’occasion pour promouvoir un de leurs favoris, le Sud-Africain Manuel Trevor ou le Turc Kemal Dervis.
De leur côté, les Européens veulent perpétuer une règle tacite en vigueur depuis 1944 selon laquelle la direction du FMI revient à l’un des leurs et la présidence de la Banque mondiale échoit à un Américain.
Mais depuis plusieurs années, les pays émergents répètent que le monde n’est plus bipolaire comme dans les années 70 et qu’il faut en tenir compte. C’est ce nouveau rapport de force que Dominique Strauss-Kahn s’est d’ailleurs efforcé de refléter au travers de la réforme, en 2008, du droit de vote au FMI.
"Les pays émergents ont dorénavant plus de voix au sein de l'institution et donc plus de poids sur la désignation du futur directeur général", rappelle à FRANCE 24 Nicolas Dromel, chercheur associé à l’École d’économie de Paris.
"Séisme aux multiples répliques"
À cela, l’Europe rétorque que le moment est mal choisi. "Le premier dossier du futur
directeur sera la crise de la zone euro et les Européens estiment que l’un des leurs sera plus sensible à ce problème et mieux armé pour le gérer", explique Christine Rifflart, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), à FRANCE 24. "Un Européen comme Dominique Strauss-Kahn aura les relations nécessaires pour faciliter les accords à venir, notamment en Grèce et en Irlande", rajoute Robert Wade, spécialiste des organisations internationales à la London School of Economics, à FRANCE 24.
Mais au-delà du champ de bataille européen, l’arrivée d’un représentant d’un pays émergent changerait-elle quelque chose au fonctionnement du FMI ? "Dominique Strauss-Kahn a déjà fait beaucoup pour répondre aux demandes des pays émergents comme de rendre l’institution moins dogmatique dans sa politique d’allocation de prêts", rappelle Christine Rifflart. "Le FMI a mis également en place suffisamment de filtres pour éviter l'arrivée d'un président trop hétérodoxe", ajoute-t-elle. D'ailleurs, "tous les candidats ont fait leurs études dans les mêmes grandes écoles et sont tous passés par le FMI", remarque Nicolas Dromel.
Reste que la venue d’un pays émergent à la tête du FMI serait un symbole fort et pourrait agir comme "un séisme aux multiples répliques", selon Robert Wade. "Une fois que la barrière du FMI aura cédé, il n’y aura plus de raison pour empêcher des responsables de pays émergents de prendre la tête d’autres institutions financières internationales", note l’économiste britannique. Le pré-carré américain de la Banque mondiale serait-il à son tour menacé ? En théorie oui, mais rien n’est fait. "Les États-Unis ont poussé pour que les pays émergents tiennent un rôle plus important au sein du FMI et en retour, ces derniers pourraient les remercier en leur laissant la direction de la Banque mondiale", estime Robert Wade.