Paris a décidé d'envoyer en Libye des conseillers militaires qui ne prendront pas part aux combats. Une décision qui illustre le malaise de la France, coincée entre les termes de la résolution 1973 et l'enlisement du conflit.
Les insurgés demandaient des troupes au sol, ils auront des conseillers militaires. Après une visite à Paris du président du Conseil de transition libyen (CNT), Moustapha Abdelhjalil, La France - à l’instar du Royaume-Uni et de l’Italie - a décidé d’envoyer "un petit nombre d'officiers de liaison" auprès de la rébellion.
Le porte-parole du gouvernement français, François Baroin, a annoncé qu’"un peu moins de dix" conseillers militaires seront envoyés aux côtés du CNT pour "effectuer une mission de liaison afin d'organiser la protection des populations civiles". Paris insiste : il ne s’agit pas d’une intervention de troupes au sol, qui serait contraire à la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU. "Je suis tout a fait hostile à cette éventualité", a souligné le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé.
"On n’en est pas au niveau de l’intervention terrestre, mais le gouvernement joue sur les ambiguÏtés de la résolution. À mon sens, on est à la toute limite du texte", estime Pierre Verluise, chercheur en géopolitique et directeur du site internet diploweb. "Mais le fait que le gouvernement annonce l’envoi d’éléments de forces françaises est le signe qu’il assume de passer à une autre phase dans le conflit. C’est une logique de fuite en avant. Il n’y a plus qu’une porte de sortie : la victoire", explique le chercheur à FRANCE 24.
Le conflit s’enlise
En un mois d’opérations militaires de la coalition, la confiance du gouvernement français a fondu comme neige au soleil. Au début des frappes le 20 mars, il évoquait fréquemment le "succès des frappes aériennes". Dimanche dernier, le ministre français de la Défense Gérard Longuet adoptait un ton radicalement différent dans les colonnes du Parisien en estimant qu’il y avait "un certain risque que le conflit en Libye puisse durer", invoquant le fait que le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi "n’est pas totalement prévisible". "[…] C’est compliqué. Et parce que c’est compliqué, c’est long", avait-il ajouté.
Pour Pierre Verluise, l’envoi d’officiers est l’illustration des difficultés rencontrées sur le terrain. "La guerre est un métier qui nécessite la mise en œuvre de techniques particulières, rappelle-t-il. On s’aperçoit maintenant que les insurgés sont des amateurs. Ils sont pleins de bonne volonté, ils sont courageux, mais ils ne parviennent pas à tenir face à des militaires professionnels, entraînés."
Bien que le ministre italien de la Défense, Ignacio La Russa ait insisté sur la nécessité d’entraîner les rebelles, les officiers envoyés par la France n’auront officiellement aucune mission d’entrainement ni même de formation théorique des insurgés. "On peut imaginer que leur mission sera de collecter des informations et d’assurer une coordination entre les rebelles et les forces de la coalition, pour empêcher les bavures", estime Pierre Verluise. Un peu circonspect sur les déclarations du gouvernement français, le chercheur conclut "le nombre officiel de militaires envoyés par la France en libye est à manipuler avec des pincettes. Nous verrons dans 60 ans, à l’ouverture des archives, ce qu’il en est réellement".
Nécessité humanitaire
Mercredi, Moustapha Abdelhjalil, président du Conseil de transition libyen, s’est déplacé à Paris pour plaider en faveur d’une intensification des frappes, notamment à Misrata où, selon lui, "la situation est très grave". La veille, l’un des chefs des insurgés à Misrata, Nouri Abdallah Abdoullati, avait demandé l’envoi de soldats français et britanniques sur la base de "principes humanitaires". "Il s’agit d’une situation de vie ou de mort", a-t-il assuré.
La ville de Misrata, située à 200 kilomètre de la capitale Tripoli, est le théâtre d’intenses combats entre les rebelles et les forces du colonel Kadhafi. Le bilan humain ne cesse de s’alourdir. "Quatre-vingt pour cent des morts sont des civils", a indiqué au début de la semaine le docteur Khaled Abou Falgha, de Médecins sans frontières. Parmi les victimes de Misrata se trouvent plusieurs dizaines d’enfants, selon des chiffres communiqués par l’Unicef. Mardi dans l’après-midi, deux photographes occidentaux ont également trouvé la mort après avoir été visés par des tirs de mortier. Depuis le début du conflit dans le pays, 10 000 personnes seraient mortes et 45 000 autres blessées, selon le Conseil national de transition. Les combats ont en outre provoqué l’exode de dizaines de milliers de personnes.