logo

Londres, nouveau sommelier du monde ?

Des experts en vin formés à l’anglaise ? La France concurrencée sur son propre terrain ! C’est ce que laisse penser la mainmise d’une école anglaise, la Wine & Spirit Education Trust, sur la formation des professionnels du vin. Ce leadership anglais influencera-t-il les tendances des marchés du vin ? Le journal de l’Intelligence Economique d’Ali Laïdi s’est rendu à Londres pour enquêter sur cette école devenue incontournable.

Au cœur même de la capitale anglaise, bien loin de la Bourgogne et du Bordelais, des élèves s’initient au vin à la Wine & Spirit Education Trust (WSET). Créée en 1969, l’école anglaise est devenue une référence pour les sommeliers du monde entier, et c’est sous l’égide d’œnologues chevronnés que les élèves apprennent à tout connaître sur le précieux breuvage.
Présente dans 55 pays, cette institution a su bâtir un véritable empire de la formation vinicole : aujourd’hui près de 27 500 étudiants sont diplômés de l’école londonienne et 80% des élèves travaillent dans l’industrie du vin à leur sortie.

Grâce à la WSET, l’Angleterre, qui n’est pourtant pas productrice de vin, s’est hissée sur le haut du podium en matière de formation vinicole.
Son directeur, Ian Harris, explique que le rôle de l’école n’est pas de se poser en arbitre, mais bien de faire découvrir les vins du monde entier : "Nous ne jugeons pas si les vins sont bons ou mauvais. On a dans nos cours une liste de vin que les étudiants doivent tester. Ce n’est pas à nous de dire si tel vin est meilleur que tel autre. Ce que nous voulons faire découvrir à nos étudiants c’est un bon Chablis, un bon Chardonnay, un bon Gewurztraminer. Nous n’avons pas de classement des vins", se défend-il.

Pourtant dans le manuel de l’école, la promotion pour les vins du Nouveau Monde paraît assumée. On peut d’ailleurs y lire que "La Nouvelle-Zélande est la plus prometteuse des régions productrices de Pinot Noir, et la plus capable de rivaliser avec la Bourgogne."

Cette mise en avant des vins du nouveau monde affole les producteurs et les négociants en vin du vieux continent, qui voient leurs parts de marché fondre comme peau de chagrin.
Xavier Jungmann, responsable marketing chez Tresch, un groupe de négociants en vin, craint qu’une telle formation ne réoriente les goûts des consommateurs. Selon lui, l’école anglaise use, dans sa formation, d’une vraie stratégie de mise en avant des vins issus des pays du Commonwealth, et ce afin d’orienter le marché en sa faveur : "En 2008, la Bourgogne représentait 40% des ventes de pinots dans la grande distribution britannique. En 2011 elle a perdu environ la moitié de cette part de marché".
En ce même temps, les ventes de pinots néo-zélandais qui, en Angleterre, représentaient autour de 9% du marché en 2008, représentent aujourd’hui près de 40% du marché.
Pour Xavier Jungmann : "Cet effondrement des ventes françaises au profit des vins du nouveau monde est assez peu naturel". Il soupçonne l’école anglaise d’avoir des accords avec les pays du Commonwealth, notamment avec la Nouvelle Zélande, et de mettre ainsi en place une stratégie commerciale commune au détriment des vieux pays producteurs.

"Bien sur il y a de très bons vins en Nouvelle-Zélande, mais il y a aussi des vins qui sont sans intérêt" argue Xavier Jungmann. "Il n'y a aucune raison que les vins du nouveau monde soient autant mis en avant si il n'y a pas de stratégie derrière" poursuit-il. Pour ce négociant en vin, le danger est clair : ce sont les élèves de la WSET –une filiale existe même en France !- qui influenceront le goût des amateurs de vin de demain, et pas question que cette formation se fasse sans la France, terre traditionnelle de vin.
Pour parer à cela, "il est donc nécessaire de mettre en place une stratégie commerciale afin de former les consommateurs", estime Xavier Jungmann. "Il y a des réflexions en cours car les professionnels se rendent compte de ce soucis par rapport à l’offre française … et de l’enjeu du marché !".