
Malgré la désignation d’un nouveau Premier ministre et la levée probable de l'état d'urgence, les contestataires syriens ont entamé mardi une "semaine des martyrs". L'occasion pour FRANCE 24.com de se pencher sur l'opposition qui défie le régime.
L’opposition syrienne a entamé sa "semaine des martyrs", qui s’ouvre mardi avec une journée de protestation : une nouvelle initiative synonyme de défiance au président Bachar al-Assad. Cette mobilisation, relayée sur Internet - notamment via Facebook sur la page "The Syrian Revolution 2011" -, est sans précédent tant la contestation est sévèrement réprimée. Le régime, contesté depuis près de trois semaines en dépit d'une forte présence de ses services de sécurité, n’imaginait pas livrer un tel bras de fer.
Selon des organisations des droits de l'Homme, environ 130 personnes ont été tuées depuis le début du mouvement - en particulier à Deraa, épicentre de la révolte à 100 km au sud de Damas. Loin d’être intimidée par la violence du régime, cette jeunesse peut-elle pour autant mener ce soulèvement à son terme - à l’instar de ses lointains cousins tunisiens et égyptiens ?
Le parti Baas, maître incontesté de la scène politique
Rien n’est moins sûr. Depuis le coup d’État de 1963 qui l’a porté au pouvoir, le parti Baas, sorte de combinaison entre socialisme et nationalisme panarabe, règne en maître incontesté sur la scène politique. Sa suprématie est inscrite dans la Constitution de 1973, qui l’a consacré comme le parti dirigeant de l'État et de la société. Un ordre établi maintenu depuis, grâce à la loi sur l'état d’urgence qui permet de réprimer "en toute légalité" les velléités de contestation et d’opposition politique. Répondant à une revendication, le président Al-Assad a recemment formé une commission chargée d'étudier l'abrogation de cette loi liberticide.
"La Syrie a été gelée et stérilisée aux plans intellectuel et politique depuis l’arrivée au pouvoir du Baas et l’instauration de la loi d’urgence", explique l'universitaire syrien Bourhane Ghalioune, directeur du Centre des études arabes et de l'Orient contemporain à la Sorbonne. Officiellement parlementaire et laïque, la république syrienne est censée être ouverte au multipartisme. Mais seuls sont tolérés les partis qui composent le "Front national progressiste", une coalition de plusieurs formations autorisées par le parti Baas. "Cette coalition censée jouer le rôle d’opposition est une mascarade, puisqu’elle obéit au doigt et à l’œil du régime. La véritable opposition prônant la démocratie est réduite au silence", explique Ahmad, opposant exilé à Paris.
Une opposition muselée
Leaders exilés ou emprisonnés, militants systématiquement traqués par les services de renseignements du régime, partis divisés sur les objectifs à atteindre : l’opposition peine à se faire entendre. "Les partis d’opposition n’ont jamais réussi à unifier leurs positions ni à proposer un projet commun, à cause notamment de la répression", commente Bourhane Ghalioune.
En 2005 pourtant, des partis de l'opposition laïque ainsi que les Frères musulmans, basés à Londres, avaient signé un texte fondateur intitulé "Déclaration de Damas", réclamant "un changement démocratique et radical". En décembre 2007, un conseil national (organe dirigeant) de la "Déclaration de Damas" a été créé en Syrie, mais plusieurs de ses membres ont été rapidement arrêtés. Des Frères musulmans, officiellement démantelés par le régime, à l’extrême gauche (marxistes, communistes...) en passant par des partis kurdes, l’opposition continue d’œuvrer clandestinement, avec une marge de manœuvre réduite. "Empêchés par la force de s’exprimer, de se réunir, de cultiver des rapports avec la population et de recruter de jeunes sympathisants, ces partis sont isolés du reste de la société", explique le professeur.
Un phénomène qui explique la profusion d’ONG, d’intellectuels engagés et de contestataires dans le pays. Ces derniers, majoritairement des intellectuels ni organisés ni encadrés, "représentent 90% de l’opposition", selon Bourhane Ghalioune. "Il s’agit d’une conséquence directe de la répression contre les partis d’opposition", developpe-t-il. Mais cet engagement individuel les expose tout autant à des intimidations, à des arrestations arbitraires et à de longues peines de prison.
La jeunesse, fer de lance du soulèvement
Mais un nouveau facteur est venu gripper l’efficacité de la machine répressive du régime, en ce début d’année. Inspirés par les soulèvements en Tunisie et en Egypte, les jeunes du pays se sont retrouvés à l’avant-garde du soulèvement actuel. Et ce malgré la surveillance continue sur Internet et le faible taux de pénétration de ce média au plan national (16,8% de la population seulement avait un accès au Web, en 2008). "La jeunesse est le fer de lance du mouvement. À l’instar du régime, les partis d’opposition ont été débordés par ce mouvement spontané et se sont contentés de les soutenir", poursuit Bourhane Ghalioune. La population syrienne est jeune (77% de moins de 35 ans) et elle est n’a connu que le régime Al-Assad et l’état d’urgence. "On croyait que ces jeunes étaient dépolitisés par la propagande baasiste, mais il n’en est rien : ils sont la force vive de l’opposition. Ils ont soif de démocratie et de modernité et ils vont prendre la relais de notre génération, qui était au bord de la résignation", conclut Ahmad.