Depuis six mois, l’École des agents de joueurs de football (EAJF) a ouvert ses portes à Paris. L'objectif de cette formation unique en Europe : préparer à l’examen des agents en moralisant une profession encore obscure pour le grand public.
Hommes de l’ombre dans un univers aux façades dorées, les agents de joueurs de football traînent souvent une bien mauvaise réputation. Au pire, sont-ils traîtés d’escrocs, au mieux sont-ils accusés d’avoir transformé le "football de papa" en un football "bling-bling" sans scrupules.
Si la mission d’un agent va de la découverte de jeunes joueurs à la négociation de contrats avec les clubs, force est de constater que des exemples douteux comme en témoigne le livre "Négriers du foot" (éditions du Rocher) de Maryse Éwanjé-Épée, jettent l'opprobe sur toute la profession.
C'est pourquoi, depuis octobre 2010, l’École des agents de joueurs de football (EAJF), une première du genre en Europe, a l’ambitieux projet de "moraliser" la profession. À l’origine de ce projet, deux Parisiens, Sidney Broutinovski et Hugo Zeitoun, issus d’autres horizons que celui du football, ont mis en place un cours à temps complet afin de préparer les futurs agents à l’examen de la Fédération française de football (FFF), obligatoire depuis 2000, pour obtenir la fameuse licence d’agent de joueurs de football.
"L’EAJF, un gage d’éthique"
"La moralisation de la profession passe par une bonne formation," explique Sidney Broutinovski, co-fondateur de l’EAJF. Nous travaillons en partenariat avec des associations telles que Foot Solidaire (pour la protection des joueurs mineurs, ndlr), la LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme) ou la FARE (Football Against Racism in Europe) pour sensibiliser les futurs agents aux problématiques éthiques qui peuvent se poser" dans leur travail. La formation propose des cours de droit, de communication, des mises en situation comme l’apprentissage de codes culturels spécifiques à chaque pays… le tout pour 4 000 euros. "Lorsqu’un jeune joueur cherche un agent, il ne peut se référer qu’au listing affiché par la FFF. Mais il ne sait pas à quoi s’en tenir. Au contraire, l’EAJF est un gage d’éthique et de professionnalisme," s’enthousiasme Sidney Broutinovski.
Pourtant, dans le milieu des agents, ces sages intentions laissent perplexes. "On ne devient pas agent de joueurs avec seulement une licence," pourfend Bruno Satin, directeur mondial de la division football pour la société de communication IMG World. "Cette formation propose un cours d’apprentissage juridique mais cela ne représente qu’une infime partie de la profession. C’est en forgeant qu’on devient forgeron." Un autre agent, qui a voulu rester anonyme, n’en pense pas moins. "C'est un métier très complexe. Il faut savoir découvrir des talents, négocier avec les clubs, être fin psychologue, gérer les blessures… Pour ça il faut beaucoup d’expérience." "J’ai peur, que l’EAJS propose une formation sans débouchés à la sortie," s’inquiète Bruno Satin.
"Il y a déjà surpopulation d’agents"
"Nous ne vendons pas du rêve", se défend Sidney Broutinovski. Nous prévenons nos élèves que certains d’entre eux ne seront jamais agents. À travers notre formation, nous leur proposons un réseau et des contacts qu’ils pourront solliciter même s’ils n’exerceront pas forcément la profession d’agent de joueurs."
Mais le milieu voit surtout d’un mauvais œil les conséquences d’une démocratisation de la profession, qui pourrait se traduire par une vague de jeunes agents débarqués sur un marché, qui selon les anciens, est déjà saturé. "Aujourd’hui, on compte 300 agents sans compter ceux qui n’ont pas de licence, pour un total de 1 900 joueurs en France. Autant dire qu’il y a déjà surpopulation", commente Bruno Satin. Pour ma part, je suis pour l’introduction d’un numerus clausus, qui régulerait le nombre d’agents."
Pour Sidney Broutinovski, l’argument de surnombre n’est pas recevable. "Il faut regarder de plus près ces chiffres. Parmi ces 300 agents, il y en a environ 250 issus du cercle familial du joueur. Ils ont obtenu leur licence mais n’ont pas reçu de formation. Il reste donc plus que 50 agents bien en place dont quelques "dinosaures". Bien sûr, l’immobilisme les arrange bien. Cela leur évite que de jeunes agents, plus en phase avec la réalité, ne prennent leur travail." La passation du témoin générationnel entre agents, c’est sûr, ne se fera pas sans douleur.