Après avoir farouchement condamné la résolution de l’ONU autorisant une intervention militaire au pays de Kadhafi, Ankara entend s'imposer comme un acteur-clé dans le règlement de la crise libyenne. Au détriment de Paris...
L’Otan a accepté dimanche de prendre en main toutes les opérations militaires en Libye, au terme d’une semaine d’âpres négociations entre les membres de la coalition et la Turquie initialement opposée à toute ingérence étrangère dans le pays de Mouammar Kadhafi.
Lors des discussions, la France et la Turquie se sont notamment opposées sur la question du contrôle politique des opérations. Paris souhaitait que les membres de la coalition, dont elle fait partie, gardent la main sur les décisions politiques tandis que l’Otan assurerait la coordination militaire des opérations aériennes. Ankara voulait, pour sa part, utiliser son droit de veto à l’Otan, pour limiter les opérations alliées contre les infrastructures libyennes et éviter des victimes civiles.
"Paris exaspère Ankara"
Pour nombre d'observateurs, les réticences de la Turquie sont en partie liées aux relations pour le moins complexes qu'elle entretient avec la France, qui s’oppose à son adhésion à l’Union européenne (UE). Acteur diplomatique de plus en plus actif dans le monde arabe, le seul pays musulman membre de l’Otan a vu d’un mauvais œil que Paris, fer de lance des frappes aériennes sur le territoire libyen, s’impose en première ligne dans la crise libyenne.
"Le fait que la France se mette en avant sur le dossier libyen a le don d’exaspérer la Turquie", explique Didier Billion, spécialiste de la Turquie à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). "Le gouvernement turc était hostile à une intervention militaire sur le sol libyen. Mais maintenant que le processus est engagé, il préfère le voir pris en main par l’Otan plutôt que par une coalition conduite par la France".
Ces dernières semaines, les relations entre les deux pays se sont tendues. Fin février, le président français, Nicolas Sarkozy, avait été accueilli fraîchement à Ankara par le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, qui estimait que la visite éclair du locataire de l'Élysée n’était "pas à la hauteur de l’amitié franco-turque". Le 19 mars, la France a achevé de vexer la Turquie en "omettant" de l’inviter au sommet international sur la Libye organisé à Paris au lendemain du vote de la résolution à l’ONU.
"Énorme maladresse" et "erreur stupide"
"Une énorme maladresse, tranche Didier Billion. Sur la forme, c’était impoli ; sur le fond, c’était une erreur stupide. L’exécutif français a tendance à se méfier des Turcs, dont ils n’apprécient pas la montée en puissance et les prises d’initiative dans la région. À mon sens, c’est une position absurde."
Une course au leadership régional dans laquelle Ankara entend pourtant bien s'imposer. Ce mardi, à Londres, la Turquie devrait profiter de la réunion des pays et organisations internationales impliqués dans le dossier libyen pour faire valoir ses arguments. "Nous sommes les seuls à maintenir des contacts avec les deux camps", a affirmé le vice-Premier ministre turc, Cemil Cicek. Profitant de cette position privilégiée, Ankara a d’ores et déjà proposé sa médiation pour éviter que la Libye ne se transforme en un "nouvel Irak ou Afghanistan".