
La Cour suprême américaine se penche à partir de mardi sur une affaire de discrimination sexuelle opposant, depuis plus de 10 ans, Wal-Mart à 1,5 million de femmes embauchées par le géant de la distribution.
C’est le procès des superlatifs. Wal-Mart, le premier employeur privé aux États-Unis et numéro 1 mondial de la grande distribution, se retrouve, à partir de mardi, devant la Cour suprême américaine face à 1,5 million de femmes. Ces employées et ex-salariées reprochent au géant américain une longue tradition de discrimination sexuelle.
La Cour suprême ne se prononce pas sur le bien-fondé des plaintes de ces femmes, mais seulement sur la légalité d’une action en justice entreprise par autant de personnes à la fois. La décision pourrait bien redéfinir le droit américain des actions collectives, notamment dans les cas de discrimination sexuelle. La plupart des grands groupes américains suivent d’ailleurs l’affaire de très près. General Electric et Microsoft, entre autres, ont versé au dossier des lettres de soutien à Wal-Mart.
Le géant américain ne s’attendait sûrement pas à un tel remue-ménage lorsque l’affaire a débuté il y a plus de dix ans. En 2000, Betty Duke, caissière depuis 1994 chez Wal-Mart, assigne son employeur en justice. Elle lui reproche de ne pas avoir pu suivre une formation pour gravir les échelons au sein de l’entreprise et d’être payée moins qu’un homme.
La sociologie à la rescousse
Une banale affaire de discrimination ? L’avocat spécialiste des droits civiques aux États-Unis Brad Seligman se saisit de l’affaire en 2001 et clame que le roi de la distribution a une politique salariale discriminatoire. Les femmes seraient systématiquement sous-payées et sous-représentées aux postes à responsabilité. L’avocat trouve, en 2001, une étude prouvant qu’il fallait à une femme, en moyenne, 4,38 années pour avoir une promotion contre 2,86 ans pour un homme.
Au fil du temps, l’armée des salariées de Wal-Mart s’estimant lésées a grossi pour atteindre le nombre inédit de 1,5 million. Mais c’est l’irruption de la sociologie qui a profondément changé la nature du procès.
En 2003, le sociologue américain William T. Bielby, spécialiste de l’analyse des modèles sociaux, a fait une irruption remarquée dans l’affaire. À la barre, il affirme alors qu’en fonction des documents du dossier qu’il avait consultés, il y avait "un modèle discriminatoire" au sein de Wal-Mart. Une caution scientifique dont l’accusation avait justement besoin. Jusqu’alors, le géant de la distribution contestait que l’accumulation de "statistiques et d’anecdotes" permette de conclure à une "politique générale de discrimination".
Des milliards de dollars de dommages et intérêts
Cette recrue de choix permet à l’accusation de gagner une première victoire en justice en 2007, puis en 2009 en appel. Devant la Cour suprême, Wal-Mart conteste qu’une telle démarche sociologique puisse être utilisée dans cette affaire. Les conclusions de William T. Bielby ont en effet été plusieurs fois critiquées par des confrères, mais l’association américaine de sociologie a apporté son soutien au professeur Bielby qui aurait utilisé "une méthode scientifique reconnue".
Wal-Mart ne veut pas non plus qu’une action collective puisse être ouverte à autant de personnes à la fois. Les conséquences financières pourraient être catastrophiques pour la société et les dommages et intérêts à verser s’élèveraient à plusieurs milliards de dollars. La décision de la Cour suprême est attendue pour juin.