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L'Onuci est-elle à la hauteur des enjeux de la crise ivoirienne ?

Prise entre le marteau Gbagbo et l'enclume Ouattara, la Mission des Nations unies en Côte d'Ivoire dispose d'une étroite marge de manœuvre pour assurer la protection des civils. À moins que l'ONU ne renforce son mandat comme le préconise la Cédéao.

Cible jusqu’alors privilégiée du camp du président sortant Laurent Gbagbo, la Mission de l’ONU en Côte d'Ivoire (Onuci) doit désormais affronter un second feu. Celui des critiques du clan d’Alassane Ouattara, dont elle a certifié la victoire à  la présidentielle du 28 novembre 2010.

L’intervention militaire de la coalition internationale en Libye crée-t-elle un précédent ? Le président élu Alassane Ouattara a explicitement demandé, lundi, à l’Onuci de "passer à l’acte" et d'"user de la force légitime" pour protéger les populations civiles en butte aux violences post-électorales. "Compte tenu de l'ampleur et de l'urgence de la situation [...], le gouvernement demande au Conseil de sécurité de l'ONU d'adopter une résolution pour autoriser le recours immédiat à la force légitime", déclare un communiqué rédigé depuis l’Hôtel du Golfe où Alassane Ouattara vit retranché depuis que la Commission électorale indépendante l’a déclaré, début décembre, vainqueur de la présidentielle.

"En clair, nous demandons à l’Onuci d’exécuter son mandat", précise Affoussy Bamba, porte-parole d’Alassane Ouattara, à FRANCE 24. "Sa mission est très claire : porter secours et assistance aux civils qui sont quotidiennement pris à partie par les Forces de défense et de sécurité [FDS] du président sortant Laurent Gbagbo, dont le départ ne pourra être obtenu que par l'usage de la force".

Ce jeudi, au terme de deux jours de sommet à Abuja, la capitale nigériane, les chefs d'État et de gouvenrment de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) ont  emboîté le pas du camp Ouattara. "Les dirigeants sont convenus de s'adresser à l'Onu pour un mandat sur une intervention militaire en dernier recours", a déclaré le président de la Communauté, le Ghanéen James Victor Gbeho, en marge du conclave. Reste à savoir si ce mandat couvrira une éventuelle intervention de la Cédéao ou s'il sera mis en œuvre par les quelque 10 000 soldats de l'ONU déjà présents en Côte d'Ivoire.

Une sacro-sainte impartialité de l'Onuci

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Difficile cependant d’imaginer des casques bleus tentant de déloger manu militari Laurent Gbagbo de son palais présidentiel d’Abidjan. "Il faut dissocier le maintien de la paix et l'imposition de la paix", s’est fait fort d’indiquer, à l’AFP, le porte-parole de l’Onuci, Hamadoun Touré.

"Il ne faut pas oublier que l’Onuci est une force d’interposition qui ne peut appuyer un camp ni un autre", rappelle Philippe Hugon, professeur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), qui voit mal le scénario libyen se répéter en Côte d’Ivoire, entendre le Conseil de sécurité voter en faveur d’une intervention internationale. "D’ailleurs, il y a fort  à parier que le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine, qui se sont abstenus lors du vote pour la Libye, opposeraient leur veto cette fois-ci."

"Le Conseil de sécurité peut, en revanche, doter l’Onuci d’une feuille de route plus claire qui lui permettrait de se faire respecter et de s’engager plus vigoureusement sur le terrain, ajoute Florent Geel, responsable adjoint du bureau Afrique de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme. La force onusienne doit pouvoir disposer d’un nombre suffisant d’hommes sur le terrain pour être en capacité de protéger la population."

Avec seulement 10 000 soldats déployés dans le pays, la mission de maintien de la paix de l’ONU manque pourtant de crédibilité. Craignant de voir la Côte d’Ivoire basculer dans la guerre civile, l’ONU a voté, le 18 janvier, l’envoi de 2 000 hommes supplémentaires dans le pays. Un contingent bonus insuffisant pour nombre d’observateurs. "En cas d’éclatement du conflit, les forces de l’ONU ne seraient pas en mesure de contenir le drame humanitaire qui en résulterait", prédit Philippe Hugon. "Ils doivent voir comment consolider leur présence. Sinon, nous serons dans la même situation qu'au Rwanda en 1994. Si l'ONU reste sans rien faire, nous aurons davantage de victimes", craint David Zounmenoun, spécialiste de la Côte d'Ivoire à l'Institute for Security Studies (ISS) en Afrique du Sud cité par l'AFP.

"La guerre civile a déjà commencé"

Pour les organisations de défense de droits de l’Homme, l’heure n’est plus à l’attentisme. Mardi, l’organisation International Crisis Group (ICG) a demandé aux chefs d’État et de gouvernement de la Cédéao, actuellement réunis à Abuja, de mettre en place "une mission militaire" destinée à protéger la population civile. "Des attaques contre des civils sont perpétrées quotidiennement, il y a des cas de disparitions forcées, de viols et de torture qui continuent à être signalés, et le bilan humain dépasse de loin celui confirmé par l’ONU", s’alarme l’ONG, avant de conclure que "la Côte d’Ivoire n’est plus au bord de la guerre, cette dernière a déjà commencé".

De fait, les affrontements entre les combattants acquis à la cause d’Alassane Ouattara et les FDS fidèles à Laurent Gbagbo ont déjà fait près de 462 morts depuis la fin de 2010, selon le dernier bilan de l'ONU. Près de 500 000 personnes auraient fui les combats en cours à Abidjan et dans l’ouest du pays, où l’ancienne rébellion des Forces nouvelles (FN), alliée d’Alassane Ouattara, tente depuis plusieurs semaines d’effectuer une percée.

"La situation humanitaire est plus grave qu’en Libye, constate Philippe Hugon. Mais là-bas, il y a plus de pétrole". Les fèves de cacao, dont la Côte d’Ivoire est le premier exportateur mondial, pèsent en effet moins lourd que l’or noir.