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Les islamistes s'attaquent aux maisons closes

La révolution tunisienne n'a pas exorcisé toutes les peurs. Les prostituées de la capitale tunisienne se sentent menacées. Des extrémistes religieux ont mené une marche pour réclamer la fermeture des maisons closes.

Le 18 févier dernier, quelque 2 000 personnes ont attaqué la maison close située impasse Sidi Abdallah Guech, dans la vieille ville de Tunis, la capitale tunisienne.

Dans les villes de Médenine, Sfax, Kairouan et Sousse, des prostituées ont également été violemment chassées par des manifestants après la fermeture forcée de leurs maisons closes.

Ces agressions systématiques contre les prostituées s'inscrivent dans le cadre d'une campagne menée par des fondamentalistes religieux dans les mosquées et sur Internet exploitant à leur manière le vent de liberté qui souffle sur la Tunisie après la chute du régime de Ben Ali.

Haro sur la débauche

Il faut dire que ce vent de liberté a surpris la majorité des Tunisiens qui étaient habitués, sous le régime du président Ben Ali, à un contrôle très strict des libertés d’expression et de manifestation. Ce n'est plus le cas. Et lLes excès et les abus ont été nombreux, selon Najwa, une prostituée rencontrée à Tunis. Depuis le début de la vague de violence, elle vit dans la crainte et l’angoisse, a-t-elle confié à FRANCE 24.

Pour les islamistes, les maisons closes sont des lieux de débauche et de vice. Dans un tract largement diffusé, les salafistes ont réclamé la fermeture pure et simple de l'établissement sis dans le vieux Tunis. Le 18 février, plusieurs centaines personnes ont donc répondu à cet appel en essayant de prendre d’assaut la maison close en criant des slogans religieux.

La majorité des manifestants portaient des barbes et étaient revêtus d'un habit traditionnel islamiste, précise Najwa. Il y avait aussi des femmes voilées. Terrorisant avec force coups et insultes les prostituées et les clients présents ce jour-là, ils ont essayé de mettre le feu à la ruelle et à un employé .

Une maison close en plein centre de Tunis

Pour Salem, l'un des participants à la marche pour la fermeture des maisons closes, ce lieu, qui existe légalement depuis 1942, est "un des symboles de la honte qui entache la Tunisie. Mais surtout, il répand la débauche et le vice."

Salem réclame la fermeture immédiate de ce genre de lieu d’autant plus virulemment qu’il se situe selon lui sur un carrefour stratégique de la vieille ville de Tunis, à quelques centaines de mètres de la grande mosquée Ezzeytouna. Il se trouve aussi non loin de l'avenue Habib Bourguiba, et à quelques pas des célèbres souks de la vieille ville, très fréquentés par les touristes et les Tunisiens.

D’après Najwa, l’opération a été minutieusement préparée par les assaillants.

Des islamistes salafistes mis en cause

Prises de panique, les prostituées se sont enfuies en laissant tout derrière elles. Sans l’intervention de l’armée, la maison close, qui se trouve dans une impasse, aurait été incendiée avec ses occupants.

Latifa, 26 ans, une autre pensionnaire, confirme les propos de Najwa et dénonce, elle aussi, le rôle des islamistes radicaux responsables, selon elle, des ces débordements de haine.

Latifa redoute que des incidents ne se reproduisent, en particulier après la prière du vendredi, tant que l'établissement restera ouvert. Depuis la révolution, les forces de l’ordre ont déserté les lieux en le laissant sous la protection de quelques militaires qui semblent peu enclins à s’intéresser de près à la sécurité des pensionnaires.

Latifa ajoute qu’en cas de fermeture, les prostituées seraient obligées d’exercer leur métier clandestinement, dans des conditions à la fois difficiles et dangereuses. 

Une activité jusqu'ici contrôlée par l'État

En Tunisie, les maisons closes sont placées sous le contrôle des services du ministère de la Santé. Les prostituées sont de ce fait suivies quotidiennement par les services concernés. A Tunis, le centre de santé reçoit chaque jour près de 50 prostituées sur un total de 238 prostituées officiellement déclarées.

Pour Oum Ziad, la directrice de la maison close, la fermeture des maisons closes pourrait créer de graves problèmes sociaux, liés au développement de la prostitution illégale. Une telle décision pourrait également être lourde de conséquences pour les clients habitués à fréquenter les bordels. Oum Ziad redoute l'augmentation des cas d'agressions sexuelles, d'incestes, voire de meurtres, étant donné "l’état de frustration sexuelle de la population".

"Nous payons des sommes importantes aux impôts qui peuvent atteindre les 60 000 dinars tunisiens par an (30 000 euros), ajoute Oum Ziad. Nous payons aussi des loyers très élevés. Dans mon cas, je paie 2 500 dinars tunisiens de loyer pour les différentes chambres."

Depuis cette agression de la part des islamistes, les affaires sont moins bonnes, déplore-t-elle. Et la baisse des tarifs des prostituées n'a pas fait revenir des clients qui craignent d'être la cible des islamistes.