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Rafsandjani, le Richelieu iranien, écarté de la direction de l'Assemblée des experts

Akbar Hachemi Rafsandjani, considéré par l'Occident comme un modéré, a été écarté de la présidence de l'Assemblée des experts. Un évènement qui montre la perte d’influence de l'ancien président (1989-1997) sur la scène politique iranienne.

Au fil du temps, Akbar Hachemi Rafsandjani perd un peu plus de son influence. Après quatre années passées à la présidence de l’Assemblée des experts – l’institution chargée de nommer et de surveiller le Guide suprême de la Révolution iranienne, l'ayatollah Ali Khamenei – l’ancien président de la République islamique d’Iran a été contraint de céder sa place à Mohammad Reza Mahdavi Kani, ce mardi.

Le Richelieu persan, réputé fin manœuvrier, avait agité la sphère politique iranienne en prenant parti pour le Mouvement vert d’opposition au lendemain de la victoire électorale d’Ahmadinejad, le 12 juin 2009. Une fronde qui avait fini d’asseoir sa rivalité déjà bien ancrée avec le Guide suprême.

MAHDAVI KANI, NOUVEAU "PRÉSIDENT BIS"

À 80 ans, Mohammad Reza Mahdavi Kani accède à l’un des postes clés de la République islamique. Il prend la présidence de l’Assemblée des experts dont les 86 membres ont pour mission de choisir le Guide suprême et de superviser ses activités.

Mahdavi Kani, qui a été Premier ministre iranien pendant un an au lendemain de la Révolution, est considéré comme l’éminence grise des conservateurs traditionnels, dans la droite lignée du Guide Ali Khamenei.

Il est l’un des trois derniers "survivants" du Conseil de la Révolution fondé à Neauphle-le-Château, en France, à l’aube de la Révolution iranienne, en 1979. Les deux autres "historiques" du régime sont le Guide suprême, Ali Khamenei, et… son prédécesseur, Akbar Hachemi Rafsandjani.

Pour Thierry Coville, professeur d’économie à Negocia-Advancia et chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), le fait que Rafsandjani ne se soit pas présenté à sa propre succession traduit son décalage, sa mise en retrait par rapport à l’ensemble du système : "En 2009, il a pris des positions très courageuses et risquées en faveur du Mouvement vert. Les tensions entre lui et le duo Khamenei-Ahmadinejad se sont de fait accrues, décrypte-t-il. Après ces déclarations très engagées, il a tenté, comme à son habitude, de jouer la carte de la conciliation, sans succès. Les conservateurs qui ont continué de tirer sur lui à boulets rouges. C’est un élément clé du régime qui sent très bien les rapports de force et se savait en difficulté."

Après ses déclarations de juin 2009, Rafsandjani est d’ailleurs rentré dans le rang. Il a tenté de faire amende honorable à plusieurs reprises, en condamnant notamment les manifestations de l’opposition organisées à la mi-février.

Cette lecture que Thierry Coville fait du personnage Rafsandjani, mêlant ouverture et conciliation, n’est pas partagée par tous les spécialistes. "Pendant une vingtaine d’années, l’Occident a pensé que Rafsandjani était le Bonaparte de la République islamique, celui par qui passerait le salut de l’Islam politique. Toute cette fantasmagorie s’est dégonflée, explique Ramin Parham, intellectuel iranien et co-auteur de 'L’histoire de la Révolution iranienne'. On a vu qu’il n’était pas plus capable que les autres d’avoir un quelconque pouvoir sur la suprématie constitutionnelle du Guide au sein du régime."

Bérézina familiale

Sous le feu des critiques depuis 2009, Rafsandjani n’est malgré tout pas parvenu à convaincre les ultraconservateurs qu'ils pouvaient toujours compter sur son soutien. Sa défection, "encouragée par le régime", s’inscrit dans le cadre plus large d'une mise au ban qui touche l’ensemble de son clan.

L’un de ses deux fils, Mehdi Hachemi, exilé depuis un an et demi à Londres, est sous le coup d’un mandat d’arrêt émis par le régime pour avoir soutenu l’opposition. Sa fille, Fazezh Hachemi, avait été interpellée le 20 février à Téhéran lors d'une manifestation interdite de l'opposition.

Son autre fils, Mohsen Hachemi, a été contraint de quitter samedi la direction du métro de Téhéran en raison de la pression du gouvernement et des conservateurs. Il dirigeait cet organisme public depuis 13 ans.

Animal politique

Depuis l’avènement de la République islamique en 1979, Rafsandjani a été malmené à plusieurs reprises. Mais chaque fois, Rafsandjani, l’une des plus grosses fortunes d’Iran, a su jouer avec les rouages du régime pour revenir au premier plan. À ce jour, il dispose toujours d’un levier : la présidence du Conseil de discernement, chargé de conseiller le Guide et d’arbitrer les litiges entre Parlement et gouvernement. Un poste symbolique qui montre que même dans la tempête, l’ancien président sait garder des liens avec le pouvoir.

Les réseaux de Rafsandjani dans les milieux politiques et d’affaires sont, en trente ans, devenus tentaculaires. Selon Thierry Coville, "Il ne faut en aucun cas penser que Rafsandjani est en train de subir un assassinat politique. À maintes reprises, les observateurs ont annoncé sa mort mais il est toujours revenu et reste très influent."

Pour autant, Ramin Parham estime que cette éviction constitue la fin du parcours pour l’ancien président : "Rafsandjani est fini. Il l’a dit lui-même en parlant de se retirer pour écrire ses mémoires. Il ne rebondira pas. Au-delà, cette mise à l’écart de Rafsandjani par le pouvoir est révélatrice d’une crise politique majeure. Le régime s’attaque à toute les voix potentiellement dissidentes pour repousser l’échéance. Ils ont peur que la lame de fond profondément anticléricale qui se développe au sein de la société iranienne emporte tous les pontes du régime."

L’écrivain iranien, convaincu que cette lame est de toute manière inéluctable, conclut : "Rafsandjani n’est que la première victime d’importance de ce mouvement. Mais il ne sera probablement pas la dernière. Ce sera plus vraisemblablement le Guide lui-même."