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Espionnage industriel : Renault est prêt à sacrifier son numéro 2

Patrick Pélata a admis, ce vendredi, nourrir des doutes sur la réalité de l’affaire d'espionnage industriel qui a récemment secoué l'entreprise. Et se dit prêt à démissionner si l’enquête officielle confirme que Renault s’est trompé.

La fin de l’histoire approche et Renault s’organise pour amortir un éventuel retour de bâton. Patrick Pélata, numéro 2 du constructeur automobile français, a reconnu, dans "Le Figaro" de ce vendredi, que le groupe avait aujourd'hui des doutes sur la réalité de l’affaire d’espionnage industriel au sein de l'entreprise qui fait la une de la presse depuis janvier. Selon plusieurs quotidiens, la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) n’arriverait effectivement pas à trouver la moindre preuve du fait que la société a été espionnée.

Pélata, un dirigeant pas très CAC 40

Ce pourrait être lui l’agneau sacrificiel. Patrick Pélata est prêt à jouer les fusibles au cas où… Si l’enquête de la police échoue à trouver des preuves d’espionnage industriel, il se dit prêt à "en tirer toutes les conséquences". Une déclaration qui en dit long sur les enjeux. Au-dessus de lui, il n’y a plus que Carlos Ghosn, le PDG de Renault qui était venu affirmer sur TF1, fin janvier, qu’il avait des "certitudes" sur la culpabilité des trois cadres licenciés.

Ce n’est donc pas n'importe quel fusible qui pourrait sauter dans cette affaire. Pélata a été nommé en octobre 2008 au poste de numéro 2 de Renault et a été présenté comme le dauphin de Carlos Ghosn.

Mais surtout, il est à la fois un salarié historique du groupe et un dirigeant atypique. Historique parce qu'il connaît tous les étages de l’entreprise. Patrick Pélata a commencé en tant que chef d’atelier à l’usine de Flins en 1984. Il gravit ensuite les échelons avant d'assister aux premières loges au rapprochement, en 1999, de Renault et Nissan. Il devient alors directeur général adjoint de Nissan avant de revenir dans le giron de Renault.

Atypique ensuite, car ce haut dirigeant de 54 ans n’est pas issu d’une grande famille d’entrepreneurs et n’est qu’un converti tardif aux "vertus" du capitalisme. Cet enfant d’une famille d’enseignants grandit nourri de valeurs de gauche. À tel point qu’à Polytechnique – où il croise pour la première fois Carlos Ghosn – il est exempté de cours militaire car il était alors "marxiste". D’ailleurs, après ses études il adhère au PCF et reste fidèle au parti jusqu’au coup d’État communiste en Pologne en décembre 1981. Malgré son départ du Parti communiste, il continue dans les années 80 à écrire, sous pseudonyme, pour "Société française", la revue économique du PCF.

Si les conclusions de l’enquête de la DCRI ne sont pas concluantes, Patrick Pélata affirme qu’il en tirera "toutes les conséquences". En clair : le dauphin désigné de Carlos Ghosn, l'actuel patron de Renault, envisage de démissionner. Les trois cadres soupçonnés d'avoir révélés des informations confidentielles de l'entreprise seraient, quant à eux, réintégrés. Renault serait "très attentif à réparer toute injustice", affirme celui-ci.

Après avoir déclaré depuis le début du mois de janvier détenir des preuves impliquant Michel Balthazard, Bertrand Rochette et Mathieu Tenenbaum, Renault met maintenant de l’eau dans sa ciguë. La possibilité d’une "escroquerie ou d’une manipulation à grande échelle" est même ouvertement évoquée par Patrick Pélata. La ministre française de l’Économie, Christine Lagarde, a applaudi, ce vendredi, les propos du numéro 2 de Renault qu’elle a qualifiés de "dignes". Avant d'encourager le groupe à "établir très vite la vérité pour que la confiance soit restaurée".

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AFFAIRE RENAULT : la thèse de l'espionnage mise à mal

Tout semblait simple

Comment en est-on arrivé à l’éventualité d’une démission de l’un des plus proches collaborateurs de Carlos Ghosn ? En août dernier, la direction de Renault reçoit une lettre de dénonciation qui donne lieu à une enquête interne. Cinq mois plus tard, le groupe est convaincu que trois de ses cadres ont tenté de revendre des secrets industriels, concernant notamment son programme de voitures électriques. Ces derniers détiendraient des comptes en Suisse et au Liechtenstein approvisionnés par des entreprises qui pourraient être chinoises. Le 3 janvier, ils sont mis à pied et licenciés deux semaines plus tard.

Affaire close ? Loin de là. D’abord parce que l’État - principal actionnaire de Renault - découvre l’affaire après coup. Furieux de ne pas avoir été mis au courant, le ministre de l’Industrie, Éric Besson, demande que la DCRI fasse sa propre enquête. Renault s’exécute et lui transmet le dossier le 7 janvier. La chasse aux mystérieux comptes en Suisse et au Liechtenstein débute…

Enquête baclée

Et très vite, dans le sillage de l’hebdomadaire satirique "Le Canard Enchaîné", la presse commence à remettre en cause la thèse de Renault. L’enquête interne aurait en effet été baclée par une entreprise de sécurité qui finit par licencier la personne qui en avait la charge.

Le 23 janvier toutefois, Carlos Ghosn déclare dans le journal de 20 heures de TF1 qu’il est certain de la culpabilité des trois cadres de l'entreprise qui ont été licenciés. Une sortie étonnante pour le grand patron de Renault, qui prend ainsi le risque de s’exposer personnellement.

D'autant plus que, quelques jours plus tard, "Le Canard Enchaîné" revient encore à la charge. Le journal affirme alors que Renault n’a aucune trace écrite des fameuses preuves accablantes et que tout aurait été transmis au groupe… par téléphone.

En attendant les conclusions de l’enquête de la DCRI, les trois salariés licenciés commencent à s’agiter. Selon le quotidien économique "Les Échos" de ce vendredi, Bertrand Rochette envisagerait ainsi de demander 2 millions d’euros d’indemnités à son ancien employeur.