envoyée spéciale à Angoulême – Anton Kannemeyer et Conrad Botes, deux têtes pensantes de la BD underground sud-africaine, ont créé la revue de bande dessinée "Bitterkomix", alors que l'apartheid était encore en vigueur. Critique acerbe du conservatisme et du racisme.
Avec leurs dessins outrageusement provocateurs, violemment sexuels, riant de la mort et des phobies racistes, ils sont considérés comme les deux hyènes de la bande dessinée sud-africaine, des écorchés vifs de l'apartheid. Conrad Botes et Anton Kannemeyer ont été l'objet de scandale lorsqu'ils ont publié les premiers “ Bitterkomix “ (littéralement : bande dessinée amère), en 1992, deux ans après la libération de Nelson Mandela et alors même que le gouvernement est en core tenu par Frederik De Klerk. Deux années et trois revues de Bitterkomix plus tard, ils sortent “ Gif “ ( “ poison “ en afrikaans), de facture pornographique. Le poste universitaire d'Anton Kannemeyer (alias Joe Dog) est menacé, le livre est censuré, mais la presse s'enflamme. Le livre ho nni circule dans les festivals d'art et l'exposition consacrée à leurs dessins attire toute l'intelligentsia sud-africaine. “ Tout le monde venait pour le sensationnel, pour voir ces 'atrocités'. On nous a accusé d'avoir le Sida... “ , raconte Joe Dog. Et pour cause, les seules bandes dessinées qui circulaient alors en Afrique du Sud était destinée aux enfants...
Ces deux détracteurs de la société afrikaaner bourgeoise et bien-pensante ont très tôt été rétifs aux dogmes ambiants : ils ont évité à tout prix le service militaire, quitte à faire dix longues années d'études ; ont participé aux mouvements de protestation anti-apartheid et anti-militaires ; ont dénoncé toute autorité, qu'elle vienne de l'Etat, de l'église... et se sont fâchés avec leur famille et plusieurs de leurs amis.
En fait, ces deux-là s'amusent qu'on puisse penser qu'ils sont de petits “ coquins “ un peu vulgaires. Et tant pis si des lecteurs prennent tout cela au premier degré. Leurs références à eux sont la BD contestataire des année s 1970, en particulier les collectifs français Bazooka et Métal Hurlant, ou encore le romancier Thomas Bernhard pour sa dissection de la jeunesse nazie dans l’ Autriche des années 1930. “ Nous savons que nous avons choqué plus d'une personne. Surtout les hommes “ , constate Conrad Botes. “ Mais nos dessins ont toujours un double sens. Nos images pornographiques ne sont pas gratuitement érotiques. Elles servent à faire sauter les tabous et à provoquer la réflexion. Nous recyclons certains stéréotypes – par exemple, le sentiment d'infériorité des hommes blancs face aux performances sexuelles , supposées supérieures , des Noirs – pour parler des non-dits et des ambivalences de la société post-apartheid. “
Anton Kannemeyer et Conrad Botes sont à présent des auteurs cultes en Afrique du Sud. Et ont acquis une belle notoriété à l'étranger. Le premier était invité en novembre 2008 au symposium “ Picturing Politics “ , organisé par la Parsons School of Design à New York. Il a pu y analyser son travail avec méthode et raison. Ces deux anciens camarades de classe connaissent précisément la portée de leurs coups de crayon. Cette cérébralité peut surprendre. Elle sous-tend en fait toute leur oeuvre.
Anton Kannemeyer (né en 1967) :
A la fois sculpteur, peintre, et créateur d'affiches, Anton Kannemeyer, alias Joe Dog, se définit avant tout comme auteur de bandes dessinées. I l dessine des histoires de veine autobiographique et parodie l'imagerie de " Tintin au Congo" (rebaptisé “ Pappa in Afrika “ ).
Conrad Botes (né en 1969) :
Lui aussi est un artiste multi-disciplinaire, avec une claire prédisposition pour la BD. Il met en image l'histoire politique et les moments forts de l'Afrique du Sud. Son dernier album, “ Rats et chiens “ aux éditions Cornélius (janvier 2009), est une allégorie de la société post-apartheid à partir de personnages bibliques : la rivalité entre les frères Abel et Caïn, les jumeaux Esaü et Jacob qui se disputent le droit d'aînesse (cf ci-dessus)...