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Être un enfant blanc sous l'apartheid, par Karlien de Villiers

envoyée spéciale à Angoulême – Lorsque Karlien de Villiers relate ses souvenirs avec sa mère, décédée quand elle avait 11 ans, elle ne peut s'empêcher de griffer au passage la société sud-africaine conservatrice et raciste qu'elle a connue. Rencontre avec l'auteur.

Contrairement à la violente critique sociale et sexuelle de ses maîtres Anton Kannemeyer et Conrad Botes, l'engagement politique de Karlien de Villiers n'est pas le point de départ de son oeuvre. Mais il transparaît immanquablement.

Comment retracer son enfance dans une famille bourgeoise, afrikaner et chrétienne du Cap, les années passées dans une école réservée aux B lancs, et la prière tous les matins pour se protéger des communistes, sans évoquer l'apartheid, l'ultra-conservatisme chrétien, la violence sociale ? Karlien de Villiers chausse ses lunettes d'enfant et fait surgir de sa mémoire les souvenirs de malaises et d'incompréhensions face aux hypocrisies d'adultes. Elle est née en 1975, une quinzaine d'années avant la fin de l'apartheid.

"Longtemps dans mon enfance, je n'ai pas questionné un état de fait : que les Blancs dominaient, avaient les meilleurs emplois et les meilleures écoles, et se prélassaient sur des plages séparées des Noirs. Nos parents nous disaient que c'était normal que tous les employés de maison soient Noirs", se souvient-elle.

A l'âge de 11 ans, sa mère meurt d'un cancer, son père et sa belle-mère refusent de s'occuper d'elle et de sa soeur, elles sont envoyées à l'internat. C'est le déclic. "Au milieu de mon malheur, j'ai découvert que j'appartenais à la classe des privilégiés. J'ai ouvert les yeux sur la misère sociale, sur la violence des rapports entre Blancs et Noirs. J'entendais des discours tels que : 'Nous leur payons des écoles, et tout ce qu'ils trouvent pour nous remercier, c'est de nous jeter des pierres !' ou encore 'Soyez sages, sinon les communistes (forcément Noirs) vont tuer vos parents et vous devrez vous asseoir à côté d'enfants noirs à l'école !' J'ai eu besoin de parler de ce cadre étouffant, brimant."

Après le lycée, Karlien de Villiers entre dans une école d'art et apprend le dessin et l'illustration auprès de Conrad Botes et Anton Kannemeyer. Ils l'initient à la bande dessinée européenne, aiguisent sa conscience politique et publient ses anecdotes d'enfance dans la revue de bande dessinée "Bitterkomix". L'album "Ma mère était une très belle femme" en découle.

Paradoxalement, Karlien de Villiers n'a pas trouvé d'éditeur en Afrique du Sud. "Et je ne sais pas trop si je souhaite vraiment que l'album soit distribué dans mon pays, avoue-t-elle. J'appréhende la réaction de mon père, de mes proches. Certes, beaucoup d'amis me pressent pour le lire. Mais je ne suis pas encore tout à fait prête à ce qu'il soit accessible dans toutes les librairies."

Cet album a été rédigé en afrikaans, puis traduit en français, en espagnol et en allemand. Il est distribué par les éditions " Ç à et Là" en France et "Arrache Cœur Verlag" en Suisse. L'auteur sud-africaine est également peintre et donne des cours d'illustration à l'un iversité sud-africaine de Stellenbosch.