Présenté par la presse occidentale comme le leader du mouvement de contestation marocain, ce dynamique jeune homme de 34 ans a été l’un des premiers à appeler à manifester au Maroc, ce dimanche... avant de se rétracter.
Partout ou presque, il a été présenté comme l’un des leaders de l’appel à la mobilisation du 20 février au Maroc. Rachid Antid, plus connu sur Internet sous le pseudonyme de Rachid Spirit Zata, a été l’un des premiers à appeler à une mobilisation dans le royaume, aussi bien dans la presse que sur les réseaux sociaux. Galvanisé par les révolutions tunisienne et égyptienne, électrisé par la naissance de contestations dans l’ensemble du monde arabe, Rachid Antid, 34 ans, s’est érigé en porte-voix d’une jeunesse marocaine en mal de démocratie. "On veut la liberté de s’exprimer, de manifester, de critiquer. On demande aussi la révision de la Constitution, la séparation des pouvoirs et un gouvernement qui ne soit pas le reflet d’un pouvoir absolu", affirmait-il, le 13 février dernier, à Christelle Marot, journaliste française indépendante résidant au Maroc.
Quelques heures à peine avant la mobilisation de ce dimanche pourtant, le jeune fondateur du groupe Liberté et démocratie maintenant, fort de près de 9000 membres sur Facebook, a retourné sa veste et appelé à ne pas participer à la marche. "Notre mouvement a été infiltré par des éléments islamistes et marxistes qui ne partagent pas nos valeurs et qui tiennent des discours aux antipodes des nôtres, justifie celui-ci, joint au téléphone par FRANCE 24. Manifester, c’est une manière violente de demander le changement. Discuter sur Facebook est une façon tout aussi efficace de parvenir à ses fins", poursuit le jeune homme. Une semaine auparavant toutefois, Rachid Antid tenait un discours radicalement différent, dans une interview accordée au quotidien français "La Croix". "Après ce qui s’est passé en Tunisie, on a décidé de sortir de l’espace virtuel et d’aller sur le terrain porter nos revendications politiques", affirmait-il alors.
Rachid Antid sème le doute sur la tenue des manifestations
Rapidement, l’agence officielle Maghreb arabe presse (MAP) relaie le retrait du mouvement de Rachid Antid de la manifestation, affirmant que les marches sont purement et simplement annulées. Un raccourci plutôt opportun pour le pouvoir : dans les rangs des contestataires, l’annonce sème le doute sur la tenue effective des manifestations. Liberté et démocratie maintenant est cependant loin d’être le seul mouvement à appeler à la contestation au Maroc. "Rachid Antid n’a aucune visibilité ni aucune crédibilité au Maroc", affirme à FRANCE 24 Najib Chawbi, l’un des fondateurs de L’appel du 20 février, un autre groupe contestataire réunissant plus de 20 000 personnes sur Facebook. Une foule d’associations et de groupes politiques maintiennent et réitèrent leur appel à manifester.
Le virage à 180 degrés opéré par Rachid Antid lui a valu de vives critiques sur la Toile. Il a été tour à tour accusé d’alcoolisme, d’appartenir aux renseignements algériens ou encore d’œuvrer pour le Front Polisario. Des accusations que Christelle Marot balaie d’un revers de la main. "Quand je l’ai rencontré, Rachid m’a semblé sincère et intègre. Il est impliqué depuis très longtemps dans des groupes de discussions. Mais ce revirement est effectivement très bizarre. À mon sens, il s’est senti dépassé par l’ampleur du mouvement, ou on lui a fait comprendre qu’il valait mieux qu’il annule son appel à manifester", explique-t-elle. "Je penche plutôt pour la seconde option : à mon sens, il a subi des pressions", poursuit la journaliste, ajoutant que, contrairement à son habitude, le jeune homme a été complètement absent du Web pendant plusieurs heures à la fin de la semaine. Une analyse que partage Najib Chawbi : "Le pouvoir l’a instrumentalisé contre la marche", assure-t-il.
Peine perdue : ce dimanche, au Maroc, plusieurs milliers de personnes ont répondu aux appels à manifester diffusés sur les réseaux sociaux et relayés par des associations de défense des droits de l’Homme et des partis d’opposition. "Toutes les organisations présentes ont accepté de ne pas brandir leurs propres drapeaux et de ne pas crier leurs propres slogans pour que nous puissions montrer qu’il y a une réelle unité au sein de ce mouvement", témoigne depuis le cortège de Rabat Khadija Ryadi, présidente de l’Association marocaine pour les droits humains (AMDH), avant de conclure : "La guerre d’information qu’a tenté de mener le pouvoir n’a pas fonctionné, nous sommes des milliers à être descendus dans les rues de notre pays".