Le plus petit royaume pétrolier du Bahreïn, gouverné par les sunnites dans un pays à majorité chiite, est secoué à son tour par des révoltes populaires inédites. Analyse de la situation avec Steven Sotloff, expert américain du Moyen-Orient.
Le vent de contestation aura soufflé depuis l’Égypte – le plus grand pays du monde arabe – jusqu’au Bahreïn – le plus petit.
Dans ce minuscule royaume du Golfe, composé à 75 % de chiites mais dirigé par la dynastie sunnite Al-Khalifa (du nom du roi Hamad ben Isa al-Khalifa, au pouvoir depuis 1999), la révolte gronde.
Les manifestations ont commencé lundi dans des villages chiites de Bahreïn à l'initiative d'internautes qui ont appelé sur Facebook à un "jour de colère". Les chiites qui se considèrent comme des laissés-pour-compte revendiquent davantage de droits et une meilleure distribution des richesses.
Steven Sotloff, expert du Moyen-Orient et membre de la Fondation pour la défense des démocraties, à Washington, analyse la situation pour France24.com.
FRANCE 24 : La population chiite a-t-elle des griefs particuliers contre le parti sunnite ? Représente-t-elle une menace pour le pouvoir en place ?
STEVEN SOTLOFF : La monarchie sunnite craint de toute évidence la prise de pouvoir par les chiites. Une situation qui sonnerait le glas des ambitions politiques de la dynastie Al-Khalifa. D’un point de vue social, les chiites ont de nombreux récriminations à adresser au pouvoir. Ils représentent plus de 80 % de la population active, mais ils sont marginalisés et écartés des domaines politique et militaire – seuls 3/5 des chiites travaillent dans le secteur des forces de sécurité, alors que ce dernier est le plus important employeur du pays.
Aux premiers jours des manifestations, les protestataires ne réclamaient qu’une réforme constitutionnelle, afin d’être mieux représentés au Parlement et constituer une vraie force d’opposition. La campagne Facebook appelait à un rassemblement pacifique. Mais après la mort de plusieurs protestataires cette semaine, la révolte a pris une autre tournure, plus radicale. Les revendications de réformes constitutionnelles se sont mues en un appel à un changement de régime.
FRANCE 24 : La violence de la répression des forces de l’ordre à l’égard des manifestants a effectivement joué un rôle décisif dans les révoltes bahreïnies ? Comment les policiers sont-ils perçus par la population?
STEVEN SOTLOFF: Les policiers de ce petit royaume ne sont pas des Bahreïnis de souche. La grande majorité vient du Yémen, de Jordanie, du Pakistan et ont obtenu la nationalité bahreïnie contre un contrat professionnel. Ils ne sont donc pas liés au pays par un sentiment de citoyenneté. Ils savent que si le régime tombe, ils tomberont avec lui. Favorisés par le gouvernement qui leur offre un niveau de vie confortable – et nettement supérieur à la plupart des chiites -, ils ne s’attirent définitivement pas la sympathie de la population.
FRANCE 24 : Au départ, le mouvement de contestation était-il uniquement chiite ? Ou bien les sunnites se sont-ils joints aux protestations ?
STEVEN SOTLOFF : Les jeunesses chiite et sunnite ont des doléances communes contre le gouvernement. Elles réclament toutes deux la fin de la corruption qui gangrène le pays et du travail. Or, en favorisant les policiers yéménites, syriens ou pakistanais, la famille royale ne s’est pas seulement attirée les foudres des chiites. Elle s’est également mise à dos les sunnites, confrontés, eux aussi, au chômage.
La plupart des manifestants appellent aujourd’hui à la mise en place d’une monarchie constitutionnelle à l’image de celle du Royaume-Uni.
FRANCE 24 : Les États-Unis disposent d’une présence armée au Bahreïn : la 5e flotte de l’US Navy, considérée comme un rempart contre l’Iran. Quel rôle jouent les Américains dans le pays ?
STEVEN SOTLOFF : Jamais on ne verra le président américain Barack Obama soutenir les manifestants bahreïnis comme il a pu soutenir les protestataires en Égypte. Liée au pays par des accords de coopération, la Maison Blanche est un allié stratégique de la famille Al-Khalifa au pouvoir.
FRANCE 24 : La famille royale accuse fréquemment les chiites de faire allégeance à l’Iran? Est-ce vrai?
STEVEN SOTLOFF : Pas du tout. Les chiites se considèrent comme des Bahreïnis. La famille royale entretient la rumeur selon laquelle ils sont alliés à l’Iran et veulent mettre en place une théocratie. Tout ça n’est qu’un tissu de mensonges.
FRANCE 24 : L’Arabie saoudite est un autre pion stratégique dans la région ? Quelle est leur position vis-à-vis de la révolte bahreïnie ?
STEVEN SOTLOFF : L’Arabie saoudite a très peur car elle a toujours prôné la stabilité – désormais menacée – de la région. De plus, la plus grande partie des chiites saoudiens se trouve à Al Hasa, une région pétrolière, à l’est du pays ; un emplacement géographique qui leur confère une proximité avec leurs voisins et frères chiites du Bahreïn qui inquiète Riyad.
Après avoir perdu son allié numéro un, l’Égypte, l'Arabie saoudite surveille désormais avec anxiété ses frontières à l’est et au sud. Une anxiété d’autant plus criante que Riyad entretient d’étroites relations économiques avec le Bahreïn. Tous deux font partie du Conseil de coopération des États arabes du Golfe et ont des intérêts communs. Le petit état du Golfe s'est tourné vers le traitement et le raffinage du pétrole qu'il importe à prix préférentiel d’Arabie saoudite et qu'il exporte une fois raffiné. Des millions de dollars, chaque jour, sont en jeu.