Les magistrats et une partie du personnel judiciaire se sont mobilisés à Nantes ce jeudi pour dénoncer, entre autres, le manque de moyens alloués à la justice. En octobre, un rapport du Conseil de l'Europe avait fait le même constat.
Les magistrats, pourtant prompts à respecter l'ordre établi, tapent du poing sur la table. Mis en cause par Nicolas Sarkozy dans l’affaire Laëtitia, une jeune femme tuée en janvier dont le meurtrier présumé est un multirécidiviste, les fonctionnaires de la justice ont entamé un mouvement de grève d’une ampleur inédite dans la profession. Leur fronde affecte désormais la plupart des tribunaux français, en métropole comme en outre-mer. En reportant toutes les audiences non urgentes, les juges dénoncent un manque criant de moyens, de personnels et un engorgement des tribunaux qui ne permet pas de rendre justice dans de bonnes conditions.
itLa majorité, en bloc, fait front : dans l’affaire Laëtitia, certains juges ont commis des fautes et des sanctions doivent être prises. Lundi, le Premier ministre François Fillon a jeté de l’huile sur le feu en jugeant la réaction des magistrats "excessive".
Une justice française sous-dotée
Pourtant, selon un rapport publié en octobre dernier par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej), organisme créé en 2002 par le Conseil de l'Europe, le gouvernement français alloue en effet bien moins de moyens à la justice que certains de ses voisins européens.
"Pour comparer ce qui est comparable, nous avons observé les données liées à la justice dans 16 pays d’Europe du Nord présentant des niveaux de richesse et des systèmes judiciaires proches", indique Stéphane Leyenberger, secrétaire de la Cepej. Les chiffres sont éloquents. L’Allemagne consacre un budget presque deux fois plus important à la justice que la France. Il atteint 106 euros par an et par habitant outre-Rhin. En France, il ne dépasse pas 57 euros.
"Effectivement, la France n’est pas très bien placée au niveau des efforts budgétaires consentis par le gouvernement", commente Stéphane Leyenberger, qui a participé à la rédaction du document. "Un gros budget n’est pas synonyme d’efficacité, mais à l’inverse, si aucun effort substantiel n’est consenti, la justice ne peut pas fonctionner efficacement."
Les tribunaux de première instance français seraient d'ailleurs peu efficaces, selon les indicateurs de la Cepej. Avec seulement trois procureurs pour 100 000 habitants, et un peu plus de 9 juges professionnels pour 100 000 habitants (contre 24,5 en Allemagne), les tribunaux français sont dans l’incapacité d’absorber l'ensemble des dossiers qui arrivent sur leurs bureaux. La Cepej a, en outre, calculé que 286 jours seraient nécessaires pour solder toutes les affaires "en stock" dans les tribunaux français si aucun autre dossier n’y était accepté – contre 129 pour l’Autriche.
Une justice qui souffre de sous-effectifs chroniques
"On a constaté un sérieux déficit au niveau du personnel judiciaire, notamment chez les magistrats ou les greffiers, poursuit Stéphane Leyenberg. Evidemment, accorder plus d’argent n’est pas un remède miracle à tous les maux de la justice française. Mais c’est par ce biais que passe l’embauche de magistrats. Et réellement, je pense qu’il devrait y avoir plus de juges en France : la justice s’en trouverait considérablement améliorée."
Le manque de moyens accordés à la justice française n’est cependant pas nouveau. Cette tendance se dégageait déjà dans les premiers rapports de la Cepej, il y a six ans. "Le budget alloué à la justice a d’ailleurs tendance à augmenter en France, mais pas suffisamment pour combler le retard accumulé au fil des années, constate le secrétaire de la Cepej. La situation ne s’est pas dégradée mais elle ne s’est pas non plus améliorée".