La situation des journalistes étrangers au Caire, pris à partie et battus, s'est brutalement aggravée, mercredi dernier. Témoignage de l'un des envoyés spéciaux de FRANCE 24 dans la capitale égyptienne, revenu depuis à Paris.
D'abord bon enfant, le soulèvement populaire égyptien a basculé dans le chaos et la haine, mercredi 2 février. Aux affrontements mortels entre les partisans du président Hosni Moubarak et les manifestants opposés au régime est venue s’ajouter une redoutable chasse aux journalistes et aux Occidentaux aux abords de la place Tahrir.
"Nettoyer la place Tahrir"
Assurée par une équipe de neuf personnes, la couverture des évènements par FRANCE 24 se déroule jusqu’ici sans encombres, malgré les problèmes posés par la coupure d’Internet et par l’insécurité régnant dans certains quartiers du Caire.
Mais ce jour-là, nous avons rapidement senti que le régime chancelant de Moubarak est en train de se ressaisir. En fin de matinée, nous apprenons de partisans du raïs qu’une contre-manifestation de soutien au chef de l'État aura lieu en milieu d’après-midi…place Tahrir, "qu’il faut nettoyer" selon leurs mots. À l'heure dite, la situation dégénère effectivement en moins d’une demi-heure et le
face-à-face, violent, dure un peu moins de 48 heures.
Lynchés par la foule, battus par la police militaire
Cinq membres de notre équipe sont alors à pied d'œuvre. Malgré les risques, ils parviennent à filmer les heurts. Mais rapidement, trois d’entre eux sont sauvagement pris à partie par les pro-Moubarak. Bastonnés pendant de longues minutes par une foule haineuse et incontrôlable, puis battus à plusieurs reprises par la police militaire, ils ne seront libérés que 36 heures plus tard.
Ils ne sont pas les seuls à avoir été traités de la sorte. Plusieurs dizaines de journalistes ont été pourchassés et frappés dans les rues du Caire les 2 et 3 février. Au bas de notre hôtel où sont alors hébergés de nombreux journalistes étrangers, on distingue une foule de partisans du président molester des journalistes. Dissuasif... Prévenu par nos soins, l'un de nos collègues décide d’abandonner sa caméra dans un taxi cairote et de regagner l’hôtel en se faisant passer pour un touriste égaré, avec la complicité d’une passante.
Journalistes sous haute surveillance
Face à la détérioration des conditions de sécurité, d’autres restent confinés dans leur chambre, constamment surveillés par les services secrets, les "moukhabarats", qui se mêlent aux employés de l’hôtel. Contraints de travailler depuis notre balcon qui offre une vue optimale sur les évènements, nous avons surpris à plusieurs reprises des "agents de sécurité" nous surveiller à partir des chambres voisines.
Interdits de filmer la place Tahrir depuis nos fenêtres sous peine d’exclusion de l’hôtel, nos conditions de travail se dégradent d’heure en heure. Sans compter l’angoisse pesante provoquée par l’absence de nos trois collègues. Ce n’est que le lendemain, tard dans la soirée, que nous apprenons avec soulagement leur libération. À travers le récit édifiant de leur détention par l’armée, nous comprenons que nous ne pouvons plus faire confiance à personne. Ni aux militaires, ni à la police, ni à la foule, ni aux employés de l’hôtel.
Exfiltrés par l’ambassade de France
Après discussion, nous décidons à l’unanimité de quitter Le Caire vendredi. De peur d’être arrêtés au milieu de la nuit, nous dormons barricadés dans nos chambres, bloquant la porte avec des meubles. Ambiance... Le lendemain, deux minibus de l’ambassade de France nous exfiltrent avec une trentaine d'autres reporters français. RFI, France 5, France 2, Le Parisien, M6...: plusieurs médias ont décidé de rappeler leurs envoyés spéciaux.
Certains, dont deux journalistes de FRANCE 24, décident toutefois de rester dans la capitale égyptienne pour assurer une couverture minimum des évènements et rejoignent un autre hôtel situé un peu à l'écart de la place Tahrir. Mais pour la majorité, la destination finale est l’aéroport du Caire. Direction Paris.