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Les irréductibles de la place Tahrir ne sont pas près de trouver le sommeil

, envoyé spécial de FRANCE 24 en Égypte – D'aucuns ont parlé d'une "marche du million". Les Caïrotes se sont en tout cas fortement mobilisés ce mardi pour protester contre le président Hosni Moubarak. Une journée historique qui s’est achevée très tard dans la nuit place Tahrir. Reportage.

Quelques heures après la fin de la manifestation ayant rassemblé près d’un million d’Égyptiens au Caire, près d’une dizaine de milliers de manifestants sont encore présents, sur la place Tahrir vers laquelle tous les regards convergent. 

Munis de tentes et de sacs de couchage, plusieurs centaines d’entre eux, dont des femmes et des enfants en bas âge, comptent dormir sur place. "Je viens tous les jours manifester depuis une semaine sur cette place. Ce soir, je vais dormir ici, au milieu de mes compatriotes parce qu’il s’agit d’une journée mémorable", explique Hamdy, un chômeur âgé de 49 ans. Selon lui, le mouvement risque de prendre une tournure plus violente, ce vendredi, après la prière, si la volonté du peuple n’est pas écoutée.

Une forte odeur de brûlé se dégage de plusieurs endroits de la vaste place, où des feux ont été allumés pour lutter contre le froid. Mais l’ambiance se réchauffe peu à peu à l’annonce du discours imminent du président égyptien Hosni Moubarak.

La voix de Moubarak résonne dans la place

Il est près de 23 heures, lorsque la voix du raïs résonne enfin au travers des haut-parleurs de la place et des postes de radio apportés par des manifestants. Dans un grésillement pénible, la voix du raïs, si impopulaire en ces lieux, a pourtant été écoutée avec gravité. Sans surprise, à peine conclue, l’allocution suscite une très forte réaction de rejet.

Certains Cairotes, dépités par la réaction du président Moubarak, s’agenouillent et se prennent la tête à deux mains. D’autres se cachent le visage avec leurs drapeaux. Hosni Moubarak, qui se maintient au pouvoir depuis 30 ans, vient d’annoncer qu’il n’abandonnera pas la présidence avant la prochaine élection présidentielle, prévue en septembre 2011.

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"Les Américains sont déjà dans l'après Moubarak"

La place, peu animée jusqu’alors en raison de l’heure tardive, s’embrase brusquement. Spontanément, les manifestants s'animent pour former plusieurs groupes compacts, pour mieux faire bloc contre le régime. "Il ne veut pas partir, mais il partira. Nous, on reste", crient-ils, unanimes. Plus loin, un groupe mené par des sympathisants des Frères musulmans scande un slogan exigeant que Moubarak soit "jugé et condamné à mort". Alertés par le brouhaha perceptible à plusieurs kilomètres de Tahrir, les journalistes étrangers qui avaient déserté la place accourent, caméras aux poings, pour recueillir les premières réactions.

"Il ne comprend pas"

Venue d’Alexandrie, pour vivre "une journée historique", Rawan, une jeune étudiante en commerce international, peine à cacher sa déception. "Nous étions des millions dans la rue aujourd’hui à travers toute l’Egypte pour lui dire de partir, mais Moubarak ne comprend pas, il n’écoute pas le peuple", regrette-elle.

De son côté, Omar désespère. Cet étudiant en philosophie redoute les effets d’un statu quo. "Si Moubarak persiste, les manifestations perdureront. Notre économie et notre avenir seront alors menacés", déclare-t-il. Selon lui, le président doit se retirer et laisser un gouvernement de transition modifier la constitution et organiser une élection présidentielle.

Demain, on sera encore plus nombreux

Déjà, un appel à de nouvelles manifestations est lancé. "Nous reviendrons demain, on restera une semaine s’il le faut, voire un an. Moubarak est bien resté 30 ans au pouvoir", ironise Karim, un coiffeur à domicile âgé de 21 ans. Son front porte encore les stigmates de la violente manifestation du 28 janvier au cours de laquelle un policier l’avait frappé avec une matraque en bois. "Je ne veux pas d’un retour en arrière, explique-t-il visiblement révolté par le discours. On souffre, nous, les Égyptiens pauvres, et on ne pourra pas s’en sortir tant que ce régime corrompu restera en place."

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Mardi, des centaines de milliers de manifestants sont descendus dans les rues
Les irréductibles de la place Tahrir ne sont pas près de trouver le sommeil

Reconverti en vendeur de cigarettes à la sauvette place Tahrir, à l’instar de nombreux Cairotes, Karim donne rendez-vous à tous ses clients pour le lendemain. "Vous verrez, demain, nous serons encore plus nombreux qu’aujourd’hui", dit-il avant de s’évanouir dans la foule des manifestants. Vers 3 heures du matin, les voix des manifestants résonnaient encore dans le quartier de la place Tahrir qui porte bien son nom puisqu'il s'agit de la place de la "Libération".