Alors que la Tunisie est secouée par de violentes émeutes, les médias locaux restent silencieux. Pour la journaliste de la chaîne Tunisie 7 Sakineh Abdelssamed, la raison en est simple : il leur est impossible de contourner la censure du régime.
Sakineh Abdelssamed est journaliste pour la chaîne de télévision Tunisie 7. Elle revient sur la position et le rôle des médias tunisiens dans la crise que traverse actuellement le pays.
France24.com : Quelle est la position des médias tunisiens sur les évènements que connaît actuellement votre pays ?
Sakineh Abdelssamed : La presse tunisienne soutient les manifestants. Lundi dernier, nous avons organisé une réunion au siège du syndicat national des journalistes pour exprimer notre solidarité aux jeunes qui manifestent pacifiquement et sans armes dans plusieurs villes du pays. Nous avons également décidé de faire grève pour dénoncer la répression féroce et injustifiée qui s’abat sur ces pauvres innocents et la censure imposée aux médias privés et publics.
Par ailleurs, les collègues qui se sont rendus sur les lieux des manifestations ont constaté que ce sont des groupes, proches du régime en place, qui saccagent les bâtiments publics, et non pas les manifestants. Pourtant, la police a répondu par la force. Elle a utilisé des balles réelles, tuant près de 70 personnes. Nous demandons à ce qu’on arrête de tirer sur des gens qui ne font que revendiquer leurs droits sans violence.
Comment expliquez-vous alors le silence de la presse tunisienne sur la question des émeutes ?
S. A. : Le régime de Ben Ali impose une censure totale aux journaux et aux télévisions. Les autorités les dirigent d’une main de fer et ne donne les autorisations de création de journaux ou de radios qu’à des proches ou à des amis.
Quant à la presse privée, deux choix s'offre à elle : soit elle se transforme en porte-parole officiel de l’État, soit elle disparaît du paysage médiatique national. Seule Nessma TV a réussi, au début des événements, à organiser un débat sur la démocratie et la liberté d’expression en Tunisie en présence de nombreux intellectuels et universitaires. Mais depuis, rien ne filtre dans les médias et l’émission n’a même pas été rediffusée.
Le régime de Ben Ali a accusé les médias étrangers de chercher à déstabiliser le pays. Partagez-vous cet avis ?
S. A. : L’État tunisien n’a pas réussi à ramener le calme et à mettre fin aux manifestations. Mieux : il s’est senti, pour la première fois, dépassé par les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter, par lesquels les images et les informations sortent du pays. C’est pour cette raison qu’il accuse les médias étrangers de vouloir déstabiliser la Tunisie. Mais ce vieux discours ne convainc plus qui veulent y croire.