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Les proches de Jafar Panahi veulent croire à l'utilité des pressions internationales

De nombreux cinéastes, acteurs et membres du gouvernement français ont apporté leur soutien à Jafar Panahi, cinéaste iranien condamné lundi à six ans de prison. Mais que pèse cette "diplomatie artistique" face à Téhéran ?

Abbas Bakhtiari, musicien et responsable du Centre culturel franco-iranien de Paris, veut encore croire à la possibilité que les autorités iraniennes renversent la peine de six ans de prison et de vingt ans d’interdiction d’exercer le métier de cinéaste à l’encontre du réalisateur Jafar Panahi prononcée lundi par un tribunal de Téhéran. "Si demain on fait silence, ce sera fini pour Jafar Panahi", plaide Bakhtiari, l’un de ses amis proches, qui soupçonne le régime des mollahs d’utiliser le cas Panahi pour rappeler aux Occidentaux qu’ils sont souverains dans leur pays.

En écho aux craintes de Bakhtiari, la mobilisation internationale en faveur de Jafar Panahi s’est rapidement mise en place. En France, où Panahi compte de nombreux soutiens, dont celui du philosophe Bernard Henri-Lévy, et de nombreuses institutions cinématographiques, le délégué général du festival de Cannes, Thierry Frémaux, a appelé à "agir vite". La défense du cinéaste s’organise aussi dans les milieux diplomatiques : les ministères français de la Culture et des Affaires étrangères ont fait part de leur indignation à l’encontre du régime de Mahmoud Ahmadinejad.

"En privant ces deux personnalités culturelles (Mohammad Rasoulof, un autre réalisateur, a également été condamné par le même tribunal) de leur liberté et en refusant le droit fondamental à la liberté d'expression et de création, les autorités iraniennes se déconsidèrent et dégradent l’image de l’Iran", dit un communiqué de Michèle Alliot-Marie, ministre française des Affaires étrangères.

"Si cette mobilisation venait d’Allemagne ou d’Italie, cela aurait davantage d’écho"

Dans sa plaidoirie publiée par le quotidien Le Monde, Jafar Panahi ne fait aucun mystère du caractère politique de sa condamnation. En avril dernier, le ministère iranien de la Culture avait accusé le metteur en scène de "préparer un film contre le régime", portant sur les manifestations ayant suivi la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad en juin 2009. Le juge en charge du dossier a qualifié ses films d’"obscènes".

Peu après son arrestation au printemps, toute la communauté de cinéastes, de producteurs et d’acteurs avait bruyamment fait connaître son soutien au réalisateur iranien à l'occasion du festival de Cannes. Invité à siéger parmi les membres du jury présidé par Tim Burton, son absence avait été symbolisée par une chaise vide. Le cinéaste avait ensuite été libéré sous caution, en attendant son procès.

Pour Ardavan Amir-Aslani, avocat international, auteur de "Iran, le retour de la Perse" (éd. Jean Picollec, février 2009), il ne faut pas pour autant y voir l’aboutissement des pressions françaises sur la justice iranienne. "Les relations avec la France et l’Iran sont tellement dégradées aujourd’hui, et les Iraniens ont tellement écarté la carte française des discussions internationales, que les Iraniens n’attendent plus rien de Paris", explique Maître Amir-Aslani. "Si cette même mobilisation venait d’Allemagne ou d’Italie, cela aurait davantage d’écho", ajoute-t-il. Depuis, la Cinémathèque suisse et le Festival international du film de Locarno se sont joints à la mobilisation.

En neutralisant Panahi, le régime essaierait surtout de briser les velléités de libéralisation de la société iranienne. "Jafar Panahi est un cinéaste unanimement respecté en Iran. Par cette condamnation très excessive, le régime iranien veut surtout donner une leçon à la société civile pour la museler", poursuit Maître Amir-Aslani.

"Rapt du pouvoir contre l'ensemble des artistes du pays"

C’est également le sens qu’a donné Jafar Panahi à sa propre condamnation. "Le raid effectué chez moi, mon emprisonnement et celui de mes collaborateurs symbolisent le rapt du pouvoir contre l'ensemble des artistes du pays", a-t-il plaidé le 7 novembre devant le tribunal de Téhéran, selon le texte publié mardi sur le site du Monde. "Nous juger serait juger l’ensemble du cinéma engagé, social et humanitaire iranien", a-t-il ajouté.

Le cinéaste a fait appel de la décision, affirme Abbas Bakhtiari, et dispose à peine de plus de deux semaines pour se rendre aux autorités pénitentiaires. Mais Abbas Bakhtiari, lui, croit à l'utilité des pressions internationales. "L’affaire Sakineh [condamnée à la lapidation pour meurtre et adultère, et dont la libération est apparue imminente la semaine passée pour finalement être démentie par Téhéran, NDLR] montre que les pressions internationales ont tout de même une influence à Téhéran", plaide l'ami de Jafar Panahi. "Je suis sûr que cela change quelque chose !"