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Sortir la Côte d'Ivoire de l'impasse, le défi du médiateur Mbeki

L'émissaire de l'Union africaine, Thabo Mbeki, a rencontré dimanche Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, qui revendiquent tous les deux la présidence. En fin de journée, l'entourage du second a annoncé la formation d’un nouveau gouvernement.

La mission du médiateur Thabo Mbeki se complique. Dimanche soir, le camp d’Alassane Ouattara a annoncé que celui-ci avait formé un gouvernement conduit par l’ancien chef politique des ex-rebelles du Nord, Guillaume Soro. Samedi, l’ex-Premier ministre avait revendiqué la présidence du pays en prêtant serment, tout comme l’avait fait plus un peu plus tôt le président sortant Laurent Gbagbo. À l’heure actuelle, le pays est dans l’impasse, aucun des deux hommes n’étant prêt à renoncer à la magistrature suprême.

Cette annonce du camp Ouattara intervient dans la foulée de son entretien avec Thabo Mbeki, médiateur dépêché en urgence par l’Union africaine (UA) pour tenter de débloquer la situation. À l’issue d’une rencontre d’une demi-heure, Alassane Ouattara s’est présenté à la presse pour déclarer qu’il avait prié Mbeki "de demander à M. Laurent Gbagbo de ne pas s'accrocher au pouvoir".

Plus tôt dans la journée, Thabo Mbeki s’était rendu au palais présidentiel de Cocody, où il avait rencontré, pendant près d’une heure trente, Laurent Gbagbo, avec qui il entretient de bonnes relations. "Nous voulons entendre le point de vue de tout le monde dans cette affaire avant de faire des recommandations sur ce qu'il convient de faire", avait-t-il déclaré à l’issue de l’entretien, sans donner plus de détails sur le contenu des discussions.

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Sortir la Côte d'Ivoire de l'impasse, le défi du médiateur Mbeki

Arrivé dimanche matin à Abidjan, l’ex-président sud-africain a rencontré les deux rivaux et doit à présent échanger avec le Conseil constitutionnel (dont le décompte des voix du scrutin du 28 novembre dernier donne Gbagbo vainqueur), et la Commission électorale indépendante (selon laquelle Ouattara a gagné).

Dimanche soir, l’annonce de la formation d’un nouveau gouvernement par Ouattara a compliqué sa mission de médiation, très attendue mais également très brève (24 heures).

Une médiation africaine très attendue

"La tâche de l’ancien président de l’Afrique du sud sera difficile, mais aussi bien Gbagbo que Ouattara ont accepté sa médiation", explique Willy Bracciano, envoyé spécial de FRANCE 24 à Abidjan. "Les relations étant tendues entre la communauté internationale et Laurent Gbagbo, une médiation africaine est très attendue ici".

La crise ivoirienne depuis le second tour de la présidentielle

- 28 novembre : second tour de l'élection présidentielle. Trois personnes tuées et plusieurs incidents localisés. Les deux camps s'accusent mutuellement d'avoir empêché leurs électeurs de voter dans certaines régions. La veille, un couvre-feu nocturne avait été instauré par un décret de Laurent Gbagbo.

- 2 décembre : La CEI annonce la victoire d’Alassane Ouattara avec 54,1% des voix. Huit morts lors d'une attaque nocturne dans une permanence du RHDP à Abidjan. Les autorités ferment les frontières et interdisent la diffusion des chaînes de télévision étrangères d'information.

- 3 décembre : Laurent Gbagbo est proclamé vainqueur avec 51,45% des suffrages par le Conseil constitutionnel. L'ONU, l'Union européenne, les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne reconnaissent la victoire de Ouattara.

- 4 décembre : Durant le couvre-feu, deux personnes sont tuées dans le sud d’Abidjan. Laurent Gbagbo est investi chef de l'État, pendant qu’Alassane Ouattara prête serment par courrier "en qualité de président".

- 5 décembre : L’ancien président sud-africain, Thabo Mbeki, rencontre les deux hommes dans le cadre d’une mission de médiation lancée par l’Union africaine. Mais le soir même, Alassane Ouattara forme un gouvernement dont Guillaume Soro est le Premier ministre.

- 7 décembre : Laurent Gbagbo procède à son tour à la nomination d'un gouvernement. Réunis en sommet extraordinaire au Nigeria, les chefs d'État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) excluent provisoirement la Côte d’Ivoire de l'organisation et apporte leur soutien à Alassane Ouattara.

Cyril Bensimon, l’un des envoyés spéciaux de RFI à Abidjan, précise : "On voit mal comment Mbeki pourrait convaincre l’actuel pensionnaire du palais présidentiel de renoncer à son fauteuil. D’après plusieurs sources diplomatiques, la politique des petits pas n’a pour l’instant rien donné." Quant à Alassane Ouattara, "son entourage dit qu’il n’est pas question d’appliquer en Côte d’Ivoire une solution comme au Kenya ou au Zimbabwe, avec la formation d’un exécutif à deux têtes. Pour Thabo Mbeki, la marge de négociation est donc très étroite. Trouver une solution rapide et pacifique semble relever du miracle diplomatique."

Réouverture des frontières lundi

Après une journée marquée par de nombreux incidents localisés, samedi, la situation est redevenue calme, dimanche, à Abidjan, la capitale économique du pays.

"À cause du couvre-feu, chacun s’arrange pour rester chez lui", témoigne l’un de nos Observateurs sur place, joint par France24.com. "Actuellement, les rues sont presque vides, les commerces sont fermés, c’est dimanche. Mais le couvre-feu se finit normalement aujourd’hui, et les jeunes n'attendent qu'un mot d’ordre pour descendre dans la rue. À partir du moment où l’un des deux camps appellera à manifester, l’autre camp voudra contre-manifester. Un bain de sang est prévisible."

La levée du couvre-feu, prévue pour lundi matin 6 heures GMT (8 heures, heure de Paris), n'a pas été confirmée par l'armée qui a, en revanche, pris la parole dimanche soir pour indiquer que les frontières, fermées depuis jeudi, seraient rouvertes lundi. Les mesures de sécurité y seront toutefois "renforcées", a ajouté l'état-major.

Dans les foyers ivoiriens, les informations arrivent avec difficulté. Les médias internationaux, notamment RFI et FRANCE 24, ne sont plus diffusés. Seule la Radio-Télévision Ivoirienne (RTI) peut être captée par les habitants d’Abidjan. "Or la RTI donne des informations sur la majorité présidentielle", juge notre observateur. "Les informations du camp Ouattara sont connues grâce à une sono installée à l’hôtel du Golf, où le candidat du RHDP a installé son quartier général."

Deux présidents ont prêté serment samedi

C’est dans cet hôtel du Golf, sis dans le quartier de la Riviera et sécurisé par la mission de l’ONU, que le candidat du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), Alassane Ouattara, a informé la presse samedi après-midi qu’il avait adressé, le matin même, sa prestation de serment au Conseil constitutionnel par lettre. "Les circonstances exceptionnelles que vit la Côte d'Ivoire en ce moment ne me permettent pas de prêter serment en personne devant le Conseil constitutionnel", dit-il pour expliquer l'envoi de ce "serment écrit".

Dans la foulée, le Premier ministre Guillaume Soro, également installé à l'hôtel du Golf, lui a remis sa démission et a été reconduit dans ses fonctions. Par son intermédiaire, c’est tout le nord du pays, contrôlé par l'ex-rébellion des Forces nouvelles (FN), qui se trouve rangé de leur côté.

La journée de samedi a également vu le candidat de La Majorité présidentielle (LMP), Laurent Gbagbo, prêter serment lors d’une cérémonie en présence de 200 personnes, dont les membres du Conseil constitutionnel et les généraux de l’armée, mais en l’absence des ambassadeurs des grands pays occidentaux. Il s’est alors posé en garant de la "loi" et de la "souveraineté" de son pays, et a fustigé les "ingérences" venues de "dehors".

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Manifestation devant l'ambassade ivoirienne à Paris
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