Les Égyptiens élisent dimanche leurs députés, mais la participation menace d’être très faible. En cause : les violences et les irrégularités des derniers jours, qui transforment le scrutin en un duel Moubarak / Frères musulmans.
Le renouvellement des 518 sièges de l’Assemblée du Peuple (la plus importante des deux chambres du Parlement), les 28 novembre et 5 décembre, semble loin de passionner l’Egypte. Les violences, les soupçons d’irrégularités, le boycott du scrutin par plusieurs partis d’opposition et l’absence d’enjeux politiques sont tels que seuls 20% des électeurs égyptiens ont retiré leurs cartes, indique le correspondant de FRANCE24 au Caire, Tamer Ezz El Din.
Candidature invalidées, scrutin maintenu
1er écueil du vote de dimanche : le passage en force du Parti National Démocrate (PND – la formation politique de Hosni Moubarak) dans plusieurs circonscriptions où le scrutin avait été annulé.
La justice égyptienne avait en effet suspendu le scrutin dans 24 circonscriptions du pays pour cause d’irrégularités : des candidats, souvent soutenus par les Frères musulmans (islamiste – la principale force d’opposition), avaient vu leurs candidatures invalidées par la haute commission électorale sans raison. C’est notamment le cas à Alexandrie, la deuxième ville du pays, mais aussi dans le delta du Nil et en moyenne-Egypte.
Mais le PND a déposé des recours, et le scrutin aura bien lieu dans ces circonscriptions, entretenant le discrédit qui touche ces élections législatives.
L’opposition divisée
Face à un PND qui règne sans partage sur le royaume égyptien, l’opposition arrive aux législatives en ordre dispersé.
D’un côté, les partis qui boycottent le scrutin, estimant que quel que soit le résultat du vote, il ne sera ni représentatif de la population égyptienne ni légitime. C’est notamment le cas des mouvements (Kefaya, 6 avril, Front démocrate) qui soutiennent Mohammed El Baradei, l'ancien directeur de l'Agence Internationale pour l'Energie Atomique.
De l’autre, la principale force d’opposition : les Frères musulmans. Eux ont décidé de prendre part aux législatives, malgré tout. Avec 130 candidats, les Frères musulmans – bête noire du pouvoir - n’espèrent pas réitérer les bons scores de 2005, qui avaient ouvert les portes de l’Assemblée à 88 de leurs représentants.
"Trucage effectif des élections"
"Ce qui est en train de se passer, c'est le trucage effectif des élections." Lors d’une conférence de presse lundi, plusieurs haut-responsables des Frères musulmans, dont le chef de leur bloc parlementaire, Saad al-Katatni, ont vivement critiqué le déroulement de la campagne.
itEn cause notamment : l’arrestation d’environ 250 des leurs dans le pays, selon l’organisation islamiste. "Ce qui se passe pendant ces élections dépasse l'imagination", a encore dénoncé Saad al-Katani, lui-même candidat, sous l’étiquette "indépendant". Au total depuis début octobre, ceux-ci annoncent que 1200 de leurs membres ont été arrêtés et que 500 sont toujours détenus.
Officiellement interdite mais tolérée dans les faits, la confrérie, principale force de l’opposition en Egypte, dispose, avec ses 88 sièges, d'environ un cinquième de l’Assemblée. "Des sièges gagnés en 2005, alors que le régime avait un peu lâché du lest sur le contrôle du scrutin", précise Jean-Noël Ferrié, directeur de recherche au CNRS, attaché au centre Jacques Berque de Rabat, joint par France24.com. Mais cette fois, précise ce spécialiste de la politique égyptienne, le scrutin est davantage encadré.
Des médias aux ordres du pouvoir
"Achat de voix, cordons devant certains bureaux de vote pour empêcher les électeurs d’entrer : il faudra une dose importante de trucage, le tout est de faire en sorte que ce ne soit pas trop visible", prévoit Jean-Noël Ferrié. Si le Premier ministre Ahmed Nazif a promis un scrutin "libre et transparent", Hosni Moubarak a d’ores et déjà annoncé qu’il refusait la présence d’observateurs internationaux.
Outre les arrestations de Frères musulmans, la campagne a été émaillée de soupçons de verrouillages de l’opposition. "Ces derniers temps, plusieurs chaînes satellitaires ont été suspendues", ajoute Walid Abbas, journaliste égyptien à Monte-Carlo Doualiya. Il explique en outre que le journal d’opposition Al-Dostour a récemment été racheté par le chef d’un autre parti, al-Wafd (libéral), qui a immédiatement limogé son rédacteur en chef. Or ce parti, ajoute le journaliste, est fortement soupçonné d’être à la solde du Parti national démocratique (PND) de Moubarak
L'élection présidentielle de 2011 en ligne de mire
Ces élections législatives ont pourtant au moins deux enjeux, économique et politique.
itDans un pays où le salaire minimum vient d’être relevé à 400 livres par mois (52 euros), l’inflation flirte officiellement avec les 12% annuels, et les fortes hausses des prix des derniers mois ont provoqué des manifestations sporadiques de mécontents. Et malgré cinq années de réformes économiques, environ 40% de la population vit toujours sous le seuil de pauvreté, sans parler d’un taux de chômage deux fois supérieur au taux officiel de 10%.
Un enjeu largement sous-estimé au profit du calendrier politique égyptien, véritable déterminant du scrutin législatif. À un an de l'élection présidentielle, ce vote s'annonce ainsi comme un test de la capacité du pouvoir à préserver une image de stabilité.
Pour le président Moubarak, au pouvoir depuis 29 ans mais qui pourrait laisser la place à son fils Gamal en 2011, l’enjeu porte donc sur le score des Frères musulmans. L’objectif du PND : reprendre le plus de sièges possible à la formation islamiste, analyse Jean-Noël Ferrié. "Les députés de la confrérie, loin de former une majorité, n’ont pas vraiment de pouvoir de nuisance, mais ils irritent le pouvoir. Il n’y a pas de risque réel pour le régime autoritaire de Moubarak de perdre, mais c’est une question de confort, il veut aborder l’élection présidentielle avec une large majorité."