Sophie de Fontaine, maître de conférence à l'Université Toulouse I et responsable du Centre européen de recherche fiscale et financière revient sur la mise en cause par Bruxelles du bouclier fiscal et de l'ISF.
La bataille entre la Commission européenne et la France sur la légalité du bouclier fiscal et de l’ISF peut aboutir à une condamnation financière de la France. Mais la procédure est longue et d’ici là, ces dispositifs n’existeront peut-être plus, selon Sophie de Fontaine, responsable du Centre européen de recherche fiscale et financière. Le gouvernement peut même trouver un avantage à cet avis européen lorsqu’il s’agira de supprimer ces dispositifs controversés.
France 24 : Quelle est la nature de l’ "avis motivé" de la Commission européenne sur le caractère discriminatoire du bouclier fiscal et de l’impôt sur la fortune ?
Sophie de Fontaine : Nous sommes, à l’heure actuelle, à l’issue d’une phase précontentieuse. Auparavant, la France avait été informée des griefs de la Commission qui juge que les mécanismes du bouclier fiscal et de l'ISF sont discriminatoires pour les Français résidant à l'étranger. Mais, Bercy n’a manifestement pas été suffisamment persuasif pour justifier le plafonnement de l’ISF et du bouclier fiscal. Ou alors le ministère n’a pas réussi à rassurer Bruxelles sur la disparition prochaine de ces dispositions. La Commission a donc décidé de poursuivre la procédure qui peut entrer dans une phase contentieuse.
Est-ce qu’à votre avis, la Commission a raison de juger le fonctionnement du bouclier fiscal et de l’ISF discriminatoire ?
À première vue, ils le sont : les personnes domiciliées en France ne sont pas traitées de la même manière que celles résidant à l'étranger pour le bénéfice du bouclier fiscal et du plafonnement de l'ISF à 85% des revenus.
Mais ce n’est pas suffisant. La discrimination doit, en outre, violer une liberté communautaire comme, par exemple, celle de circuler. C'est ce que reproche la Commission à l'ISF et au bouclier fiscal. Après, la France peut encore faire jouer un "motif impérieux d'intérêt général" telle que la lutte contre l'évasion fiscale pour éviter d'être condamnée.
La France a deux mois pour se conformer au droit européen sur la question, que risque-t-elle ?
La Commission demande à la France de réformer le bouclier et le plafonnement de l’ISF ou plus radicalement de supprimer ces deux règles. Ces modifications ont évidemment très peu de chances d'intervenir dans le délai mentionné. Au terme de ce délai, la Commission pourra théoriquement saisir la Cour de justice de l'Union européenne afin qu'elle constate le manquement mais sans qu'elle puisse elle-même invalider la loi française. À charge donc pour le législateur français d’en tirer "spontanément" les conséquences.
Si la France n’obtempère pas, la CJUE pourra engager une procédure dite de manquement sur manquement. La France pourrait alors être condamnée à une amende forfaitaire ou à une astreinte. Il s’agit d’une procédure longue et compte tenu des annonces du gouvernement sur une réforme de la fiscalité en 2011, il y a de fortes chances pour que ces dispositifs aujourd'hui incriminés aient en fait disparu. Mais attention certains contribuables, non-résidents en France, et qui n’ont pas le droit aux avantages du bouclier peuvent s’emparer de l’avis de la Commission pour demander d’en bénéficier.
L’un des arguments de Bercy est que la "loi fiscale ne se fait pas à Bruxelles", qu’en pensez-vous ?
C’est de bonne guerre, mais peu justifié juridiquement. Certes, la souveraineté fiscale existe mais les États membres doivent définir leur politique fiscale dans le strict respect des principes communautaires.
Mais peut-être la position de la Commission sera-elle appréciée quand il s'agira de supprimer des dispositifs qui ont été le fer de lance de la dernière campagne présidentielle et donc de justifier aux yeux de l'électorat d'hier le revirement de demain.
La Commission estime aussi que ces deux dispositifs dissuadent les Français d’investir à l’étranger…
C’est effectivement le deuxième grief soulevé par la Commission. Les investissements faits à l'étranger par un Français ne sont pas pris en compte dans le calcul du bouclier fiscal. Contrairement à ceux effectués en France. Conséquence : il est plus tentant d'investir à l'intérieur de nos frontières. La Commission trouve cette incitation discriminatoire et contraire à la liberté de circulation des capitaux.
Mais faire entrer dans le calcul pour bénéficier du bouclier fiscal les impôts payés sur les investissements à l’étranger pourrait conduire l’administration française à rembourser ces impôts. Un paradoxe pour un dispositif qui visait justement à éviter les délocalisations. Ne venez pas au bouclier, le bouclier viendra à vous!!!