L'ancien chef de l'État, déposé par un coup d’État en décembre 1999, s’apprête à livrer son dernier combat. Parcours d’un président déchu qui se voit comme le digne héritier du "père de la nation", Félix Houphouët-Boigny.
"Si je suis élu, ce sera mon dernier mandat", a assuré, au début du mois d'octobre, le candidat du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) à l’hebdomadaire "Jeune Afrique". À 76 ans, l’ancien président Henri Konan Bédié (dit HKB), déposé par un coup d’État le 24 décembre 1999, entame son dernier combat. Non sans détermination.
Onze ans après avoir essuyé l’affront du coup d'État du général Robert Gueï, l’homme que Félix Houphouët-Boigny avait choisi pour lui succéder est convaincu d'avoir encore un rôle à jouer au sommet de l’État ivoirien. En campagne pour la présidentielle du 31 octobre, "HKB" promet "le progrès pour tous, le bonheur pour chacun" à longueur de meetings. En attendant de détailler son programme, il galvanise les foules en cultivant la nostalgie des années Houphouët. Tout en se gardant bien de défendre le bilan de son passage à la présidence, brusquement interrompu un soir de réveillon de Noël...
En quête de légitimité
Né en 1934 à Daoukro, une petite ville du pays baoulé située dans le centre-est de la Côte d'ivoire, Henri Konan Bédié suit des études à l’École normale de Dabou, non loin d’Abidjan, avant de rejoindre l’université de Poitiers, en France, où il fait son droit. Son diplôme en poche, il rentre au pays où il intègre l’administration publique à l’âge de 24 ans. Six années plus tard, le jeune fonctionnaire est nommé ambassadeur aux États-Unis (1961-1966) puis ministre des Finances (1966-1977) et enfin président de l’Assemblée nationale, un poste qu’il occupera jusqu’à la mort du "Vieux" en 1993.
Après avoir assuré pendant un an l’intérim à la tête du pays, Henri Konan Bédié, alors âgé de 61 ans, s'installe dans le fauteuil présidentiel au terme d’une élection boycottée par ses plus sérieux adversaires, l’ancien Premier ministre Alassane Dramane Ouattara (surnommé ADO) et le socialiste Laurent Gbagbo. Malgré une large victoire sur le papier (96,44 % des suffrages), le protégé d’Houphouët, en quête de légitimité populaire, se sait mal élu.
Dans l’exercice du pouvoir, il ne s’en sort guère mieux. Répartition inéquitable des profits et des postes dans la fonction publique, gestion opaque de la filière cacao, révélations de détournements de fonds européens au sein du ministère de la Santé... Le gouvernement de Bédié s'attire la méfiance des bailleurs de fonds internationaux. Et éveille la défiance des Ivoiriens.
"Tout sauf Ouattara"
Mais, contrairement à son mentor que l’on disait attentif aux moindres mouvements d’humeur de ses administrés, le président Bédié reste sourd aux critiques. Et préfère voir derrière les attaques dont il fait l’objet la main de l’opposant Alassane Ouattara, qui ne fait plus secret de ses ambitions présidentielles. Surfant sur un sentiment de xénophobie balbutiant, la garde rapprochée du chef de l’État instrumentalise le concept d’"ivoirité" à des fins politiques. Désigné pour représenter le Rassemblement des républicains (RDR) à la présidentielle de 2000, ADO voit dès lors sa nationalité ivoirienne sans cesse contestée. Son parti subit de plus en plus les brimades des autorités. À la fin de 1999, après une manifestation de l’opposition qui finit en échauffourées, 11 responsables du RDR sont mis aux arrêts.
En marge de cette bataille des présidentiables, le climat social se tend. Dans les casernes, les soldats, qui se sentent lésés, laissent éclater leur colère. Le 24 décembre 1999, un groupe de jeunes soldats emmenés par le général Robert Gueï renverse le président Bédié, qui n’a rien vu venir.
Alliance de circonstance
Mais HKB ne désarme pas. Un an plus tard, le "Sphinx de Daoukro", comme on le surnomme, se déclare candidat à l’élection présidentielle promise par la junte au pouvoir. À l’instar de son rival Ouattara, le chef de l’État déchu voit sa candidature invalidée par la Cour suprême. Laurent Gbagbo élu en 2000, Henri Konan Bédié continue de porter haut les couleurs du PDCI. Relégué dans les rangs de l’opposition, il se refait une santé en fustigeant l’action de son successeur, qu’il considère comme un usurpateur.
À la fin du mandat électif de Gbagbo en 2005, il noue une alliance de circonstance avec... son ancien ennemi ADO. Regroupés au sein d’un Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), leurs partis respectifs prennent part au long et douloureux processus de sortie de crise. Au lendemain de la signature de l'accord de paix de Ouagadougou, en mars 2007, les deux hommes pèsent de tout leur poids pour accélérer la tenue d’une élection présidentielle qui tarde à venir. Après plusieurs reports successifs, le scrutin est annoncé pour le 31 octobre 2010. Cette fois-ci, les différents dirigeants politiques savent que c’est la bonne. Henri Konan Bédié tient enfin sa revanche.