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Menaces de mort sur les universités en Irak

Les universitaires irakiens sont la cible d'une campagne meurtrière visant à éliminer les intellectuels. Peu d'assassinats font l'objet d'enquêtes, et depuis 2003, l'étendue des violences a fait fuir d'Irak des milliers d'universitaires.

Le docteur Khalid Nasir al-Miyahi est l’un des nombreux universitaires assassinés en Irak. Il était professeur à l’université de Bassorah, le seul neurochirurgien de cette ville du Sud de l’Irak. Il a été enlevé le 9 mars 2008. Le jour suivant, son corps était retrouvé dans la rue, criblé de balles.

Le soir de sa disparition, le professeur avait reçu un coup de fil d’une personne lui demandant de revenir d’urgence à la clinique pour une affaire médicale, a expliqué un de ses collègues à l’agence Associated Press.

“Aujourd’hui, on connaît une campagne incessante pour détruire les ressources intellectuelles irakiennes", explique Wathab al-Sadi, professeur irakien vivant à Paris. Selon lui, les universitaires sont ciblés, quelles que soit leurs convictions politique ou religieuse. Les chiites comme les sunnites sont menacés. "Leur seul dénominateur commun est d’être des professeurs d’université", fait-il remarquer.

“Clairement, les universitaires sont ciblés spécifiquement”, soutient Brendan O’Malley, auteur d’un rapport en 2007 pour l’ONU sur l’éducation ('Education under attack'). Mais l’ampleur exacte de cette hécatombe est difficile à mesurer. Le professeur de géologie Isam al-Rawi, à la tête de l’association irakienne des chargés d’enseignement, a rassemblé des chiffres sur la mort de ses confrères, avant d’être tué lui aussi en 2006.

Selon l’ophtalmologue irako-britannique Ismael Jalili, qui a tenté dans un rapport pour le gouvernement britannique de recenser le taux de mortalité des professeurs irakiens, 380 universitaires et docteurs ont été tués entre 2003 et 2006. Les universités de Bassorah, de Mossoul et d’al-Mustansiriya à Bagdad sont parmi les plus dangereuses. Soixante-dix professeurs, étudiants et employés ont été tués à l’université al-Mustansiriya lors d’un seul attentat-suicide survenu en janvier 2007.

La violence entre factions rivales sur les campus a sûrement contribué à la hausse du taux de mortalité parmi les universitaires, fait remarquer M. O’Malley.

Des assassinats politiques

“Nous assistons à un feuilleton sans fin d’assassinats”, raconte Ibtissem Yakoub, veuve de Youssef Salman, professeur à l’université de Bassorah, tué en 2006.

Son mari a été tué alors qu’il conduisait sa voiture pour rentrer chez lui après une journée de travail. Aux yeux de Mme Yakoub, il ne fait aucun doute que Youssef Salman était la cible des balles. "Il était en compagnie de trois autres collègues. Seul lui a été tué, les autres ont été épargnés", raconte-t-elle à FRANCE 24 lors d’une interview au téléphone depuis Bassorah.

“Au début, nous pensions que les professeurs étaient tués parce qu’ils avaient milité au sein du mouvement baassiste ou parce qu’ils étaient soupçonnés d’avoir travaillé pour des programmes d’armement", explique Dr. al-Sadi. "Ainsi, au début de la guerre, certains scientifiques ont été la cible des raids américains", dit-il.

Sunnite dans une ville à majorité chiite, Youssef Salman aurait pu être visé à cause de l’alliance politique de sa communauté avec le régime de Saddam Hussein.

L’ancien dictateur irakien était né dans le fief sunnite de Tikrit, et avait largement recruté dans sa communauté. Sous le régime Saddam, la communauté sunnite jouissait d’un traitement de faveur, souvent au détriment de la communauté chiite.

Mais Mme Yakoub nie l’idée que feu son mari ait eu de quelconques activités politiques.

Ailleurs en Irak, des universitaires chiites ont été tués dans des villes et des universités majoritairement sunnites.

Amal Maamlaji était professeur à l’université al-Mansour de Bagdad lorsque les Américains ont envahi l’Irak en 2003. Née dans la ville sainte chiite de Kerbala, elle a passé de nombreuses années à l’étranger. Elle s’est vite engagée dans la défense des droits de l’Homme, plus spécifiquement ceux de la femme, à Bagdad.

Selon le témoignage de son mari Athir Haddad, Mme Maamlaji n’a jamais cru qu’elle pourrait être attaquée pour ses opinions. "Elle disait toujours : ‘je suis une nationaliste, pas une politicienne, personne n’en voudra à ma vie’", témoigne-t-il à FRANCE 24 lors d’une interview au téléphone depuis Bagdad. En 2004, Mme Maamlaji, qui venait de commencer un travail au ministère des Affaires locales et des travaux publics, a été victime d’une embuscade dans des embouteillages. "Cent soixante balles ont été retrouvées dans son véhicule", raconte Haddad. "Vous pouvez imaginer le massacre."

Selon son mari, la police a vite bouclé l’affaire. Quand Haddad a tenté d’enquêter sur sa mort, la police l’a “menacé”, soutient-il. "Ils m’ont conseillé de ‘me la fermer’". Encore aujourd’hui, M. Haddad admet craindre pour sa vie. Il explique que Mme Maamlaji avait critiqué le fondamentalisme islamique au cours d’entretiens accordés à la presse.


Une campagne meurtrière contre les universitaires ?

Tant que les cas d’universitaires tués ne font pas l’objet d’une enquête, toutes les rumeurs sont permises. M. al-Sadi est persuadé qu’il existe une campagne organisée pour décimer les intellectuels irakiens. A la tête du Comité international pour la solidarité avec les universitaires irakiens, basé en France, il milite pour une plus grande protection des universitaires.

En janvier 2008, la police irakienne a arrêté un gang qui s’était spécialisé dans le meurtre et l’intimidation de médecins, d’universitaires et de juges, a affirmé un responsable du ministère de l’Intérieur à l’agence Associated Press, sous couvert de l’anonymat.

Le docteur al-Sadi refuse de spéculer sur les auteurs de ces tueries, mais il rapporte les propos de certains collègues, qui accusent Israël, l’Iran ou encore les Américains de favoriser ces campagnes d’assassinat. "Certains accusent Israël de vouloir affaiblir l’Irak, d’autres soupçonnent l’Iran de s’attaquer à la communauté scientifique irakienne", explique-t-il. "Surtout, beaucoup de personnes pensent que quelqu’un a intérêt à ce que l’Irak ne soit pas une puissance régionale."

Mais M. O’Malley rappelle que de telles affirmations sont impossibles à vérifier. "Les extrémistes sunnites s’en prennent aux universitaires chiites et, inversement, les extrémistes chiites en veulent aux universitaires sunnites. Certaines personnes prennent pour cible les baassistes, tandis que d’autres visent les non-baassites. L’accumulation des deux peut donner l’impression qu’il existe une campagne d’élimination des universitaires."

Selon le rapport rédigé par ce journaliste, au moins 3 000 universitaires ont fui leur pays. Le nombre d’étudiants se rendant en cours dans les universités de Bagdad a chuté des deux-tiers. Et la pression sur les universitaires qui restent au pays est forte. M. Addad, veuf de Maalmaji et également professeur d’université, affirme qu’il aurait déjà quitté Bagdad si ses filles n’étudiaient pas à l’université. "Elles se sont fait des amis ici", dit-il. "Vous savez comment sont les jeunes."