
Malgré les pressions de Pékin, c'est l'intellectuel chinois Liu Xiaobo qui s'est vu décerner le prix Nobel de la paix 2010. Depuis décembre 2008, ce vétéran de la dissidence chinoise purge une peine de 11 ans de prison pour "subversion".
Le président du comité Nobel norvégien, Thorbjorn Jaglande, l'avait annoncé : le prix Nobel de la paix 2010 serait controversée. Et pour cause. La prestigieuse distinction a été attribuée, ce vendredi, au dissident chinois Liu Xiaobo, "pour ses efforts durables et non violents en faveur des droits de l'Homme en Chine", a annoncé le comité.
Le comité a salué le “premier symbole de la lutte de grande envergure pour les droits de l’Homme en Chine”. Vétéran de la dissidence chinoise, Liu Xiaobo est une ancienne figure de proue du mouvement démocratique de Tiananmen. Il est aujourd'hui emprisonné pour ses convictions démocratiques.
La réaction de la Chine ne s'est pas fait attendre. Le ministère chinois des Affaires étrangères a estimé dans un communiqué que la remise de la prestigieuse récompense allait à l'encontre des objectifs du Nobel. Qualifiant ce choix d'"obscène", il a également affirmé que cette distinction décernée par le comité norvégien nuirait aux relations à Oslo.
Le statut de la Chine, devenue "la deuxième économie mondiale", "lui impose plus de responsabilités", a déclaré Thorbjorn Jaglande.
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La bête noire du régime communiste
Le dernier coup de force de Liu Xiaobo fut la co-rédaction de la "Charte 08". "Le peuple chinois endure un désastre en matière de droits de l'Homme". C’est avec des mots aussi directs que le texte, signé par 300 éminents chinois et 10 000 anonymes, selon l'organisation China Human Rights Defenders, entendait marquer les consciences et envoyer un signal fort à Pékin (lire le texte intégral ici). C’était en décembre 2008, à quelques mois du 20e anniversaire de la révolte de la Place Tiananmen.
Cet ancien professeur de littérature et essayiste n'en était pas à son premier coup d'essai. En 1989, il s'était fait exclure de l'université où il enseignait, et avait passé plus d'un an et demi en prison, à la suite de sa participation aux événements de Tiananmen. Il a également vécu trois ans dans un camp de rééducation "par le travail" de 1996 à 1999, pour avoir réclamé une réforme politique et la libération des anciens manifestants de Tiananmen.
Le 3 juin 2008, jour du 19e anniversaire des événements de Tiananmen, Liu Xiaobo avait accordé un entretien à FRANCE 24. Il avait été interpellé le lendemain et longuement interrogé par la police chinoise sur la nature de l'interview, a-t-il pu témoigner par la suite.
Les autorités chinoises ont ensuite arrêté Liu Xiaobo en décembre de la même année. Outre la "Charte 08", les autorités reprochent à Liu Xiaobo des articles critiques publiés sur Internet. La justice l'a reconnu coupable de "subversion du pouvoir de l'État" en décembre 2009, et l'a condamné à 11 ans de prison. À l'époque, déjà, l'affaire avait ému la communauté internationale, qui avait appelé à sa libération. La Chine avait dénoncé des "ingérences grossières" et exhorté l'Occident à rester à l'écart de cette histoire.
La mobilisation en faveur de Liu Xiaobo n'a pas cessé depuis. C'est grâce au lobbying actif de Vaclav Havel, ancien dissident du temps du régime communiste en Tchécoslovaquie et signataire à l'époque de la "Charte 77" – qui a servi de modèle à la "Charte 08" chinoise -, que le nom de Liu Xiaobo a atterri sur le bureau du comité Nobel à Oslo.
L'indépendance du comité du Nobel
Le prix Nobel de la paix avait déjà suscité de grands espoirs chez les dissidents chinois
en 2008 : le nom d'Hu Jia, connu pour son activisme politique et emprisonné depuis 2007, était cité parmi les favoris. Finalement, Martti Ahtisaari, ancien président de Finlande, avait été récompensé.
La réelle liberté de choix du comité a donc pu poser question. "Le comité Nobel subit des pressions considérables de nombreuses origines, commente Jan Egeland, qui dirige l'institut de politique étrangère Nupi à Oslo. Il y a beaucoup de gens qui soulignent que ce prix doit concerner avant tout les efforts en faveur de la paix et que ce n'est pas un prix pour les droits de l'Homme ou la liberté d'expression." Cette année, le comité ne semble pas avoir cédé aux pressions.
Le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, a d'ailleurs salué dans un communiqué le choix du comité Nobel, "qui incarne la défense des droits de l'homme partout dans le monde".