
La marée rouge qui se déverse sur la Hongrie depuis quatre jours a atteint le Danube, faisant craindre une catastrophique écologique de grande ampleur en Europe. Seule bonne nouvelle : la toxicité de la boue s'estompe dans les eaux du fleuve.
À peine la boue rouge a-t-elle atteint le Danube que déjà les observateurs ont constaté la mort de poissons dans le deuxième plus grand fleuve d’Europe (après la Volga). Depuis le début de la semaine, cet accident industriel sans précédent en Hongrie a fait quatre morts - dont une petite fille de 14 mois - et plus de 120 blessés. Des dizaines de personnes se plaignent également de brûlures.
itLa composition de la boue rouge conforme à la règlementation européenne
Les médias ne cessent d’évoquer la présence de plomb dans ces rejets toxiques. Mais l’usine Magyar Aluminium (Mal), à l'origine de cette catastrophe provoquée par la rupture d'un de ses réservoirs, s’en défend. Mal, qui affirme que la boue qui se déverse ne contient aucun métal lourd nocif, détaille sur son site sa composition chimique : elle est constituée en majorité d’oxyde de fer (40-45 %), ce qui lui confère sa couleur rouge, mais aussi d’oxyde d'aluminium (10 à 15%), de dioxyde de silicium (10 à 15%), d’oxyde de calcium (6 à 10%), de dioxyde de titane (4 à 5%) et d’oxyde de sodium (5 à 6%). "Ses composants ne sont pas solubles dans l'eau", peut-on aussi lire sur le site de l’usine.
Cette composition respecte les normes européennes et la boue ne pourrait donc pas être considérée comme un déchet toxique dangereux. "On distingue la toxicité chimique, liée à la composition de la boue, de la toxicité physique qui dépend du pH", commente Éric Thybaud, écotoxicologue responsable du pôle Dangers et Impact sur le Vivant à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris). "Même si elle n’est pas classée parmi les substances dangereuses, il n’empêche que le phénomène de toxicité peut être élevé." Après la rupture du réservoir de l’usine Ajkai lundi, les autorités ont mesuré un pH de 13. Le taux alcalin normal est de 8, sur une échelle allant jusqu'à 14.
La toxicité de la boue se dilue dans le Danube
Aujourd’hui, la boue rouge, qui a déjà pollué deux rivières, la Marcal et la Raab, a atteint le Danube, entraînant une dilution et donc une baisse de son acidité. "En atteignant la rivière de la Raab, son pH est passé à 9,4, ce qui signifiait qu’il avait légèrement perdu de sa toxicité, commente ÉricThybaud. La boue devrait aussi perdre sa toxicité dans le Danube". Selon les dernières évaluations, le pH du Danube était évalué à 8,4 - contre 9,1 deux heures plus tôt.
L'eau, rougie à cause de ce déchet toxique en amont, a depuis pris une teinte vert bouteille en raison de l'acide acétique versé dans la rivière pour faire chuter le pH. Du plâtre a également été versé massivement, entraînant des îlots de mousse grisâtre flottant à la surface.
Des brûlures pour l’homme et des écosystèmes détruits
La coulée de boue toxique est en train d’affecter, sinon de détruire, tous les écosystèmes sur son passage. L'écosystème entier de la rivière Marcal, directement touché par la marée rouge, a été détruit, a annoncé jeudi le chef régional des services anti-catastrophes, Tibor Dobson. Par ailleurs, des poissons morts ont également été trouvés dans la Raab. "Ils ne résistent pas au pH de 9,1", a-t-il ajouté.
D’après Éric Thybaud, les poissons meurent en raison de deux phénomènes. "D’une part, la toxicité de la boue entraîne des brûlures et attaque leurs branchies", indique-t-il. "Mais ils se retrouvent également englués dans la boue."
Selon les experts, la boue rouge va également rendre infertile une bonne partie du sol, contaminé par des métaux lourds connus pour leur longévité.
Les catastrophes ne s’arrêtent pas aux frontières
"Nous sommes inquiets, et pas seulement pour l’environnement en Hongrie, car on sait que cela pourrait traverser les frontières", a déclaré Joe Hennon, porte-parole du Commissaire hongrois chargé de l'Environnement, Janez Potocnik. Le fleuve traverse en effet 10 pays européens et 6 se situent en aval de la Hongrie : la Croatie, la Serbie, la Roumanie, la Bulgarie, l’Ukraine et la Moldavie.
À qui la faute ?
Une enquête criminelle a été ouverte en Hongrie pour déterminer les responsables de cette pollution de grande ampleur. Tous les regards sont tournés vers l’usine Mal. Le secrétaire d’État hongrois à l’environnement, Zoltan Illès, a affirmé que le réservoir qui s’est rompu n’avait le droit de contenir que 200 à 300 m3 d’eaux usagées. "Or, on sait qu’il en contenait déjà 700 à 800", a-t-il indiqué.
Mal nie toute responsabilité en affirmant que le réservoir avait été contrôlé trois jours avant la catastrophe par les autorités, qui n’ont pas signalé de sur-stockage. Le directeur de Greenpeace-Hongrie, Zsolt Szegfalvi, estime : "La responsabilité de l'usine était claire, il est évident qu'ils entreposaient trop de boue dans les réservoirs. Sur des images par satellite, la fissure était déjà visible sur la digue un jour avant l'accident". "Il n’y aura pas de responsable unique", commente pour sa part Maître Moustardier, avocat français spécialisé en droit de l’environnement.
Quelle qu'elle soit, la facture de cette catastrophe industrielle sera lourde. Les premières estimations chiffrent les dégâts à un prix compris entre 5 et 10 millions d'euros. Maître Moustardier estime qu’il faudra attendre au moins une vingtaine d’années pour obtenir réparation. Et de conclure : "Mais est-ce qu’on pourra seulement réparer le préjudice écologique ?"