Florence Jany Catrice, économiste et directrice de la "Revue française de socio-économie", explique que le dernier rapport de l’Insee sur la grande pauvreté ne rend pas exactement compte de la situation qui prévaut dans l'Hexagone.
L'Institut national de la statistique des études économiques (Insee) a révélé mardi que le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté en France s'établit à 7 836 000 personnes, soit 13% de la population. Des chiffres qui placent l'Hexagone parmi les "bons élèves" européens dans ce domaine. Cependant, la méthodologie de l'Insee ne révèle qu'une partie du problème, comme l'explique l'économiste Florence Jany-Catrice.
France24.com : Que pensez-vous de la légère baisse du nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté en France ?
Florence Jany-Catrice : Je ne parlerais pas de baisse, mais de stabilisation. En fait,
des facteurs conjoncturels contribuent à cette impression. Ainsi, un changement de règlementation a permis, en 2008, à certaines personnes de toucher davantage d'allocations. Et c’est le grand problème des rapports de l’Insee : une partie non négligeable des mesures est purement administrative. Dès qu’on change un peu les règles, cela peut avoir un effet important sur les résultats finaux, alors que la situation n’a pas forcément évolué. Il faut retenir que la situation est stable depuis 2006, après quinze années de baisse continue du nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté.
F24.com : Vous ne pensez donc pas que ce rapport offre une image fidèle des la situation de la grande pauvreté en France ?
FJC : L’Insee a fait de grands progrès pour mesurer la pauvreté en France, mais il n’en demeure pas moins qu’il fonde son analyse sur les revenus fiscaux. De ce fait, il ne tient pas compte de certaines catégories de la population, pourtant touchées par la grande pauvreté. Ainsi, toutes les personnes vivant dans des institutions, comme la prison ou les foyers d’accueil, échappent à ce calcul. Et cette population est en progression. Surtout, l’Insee ne comptabilise pas les SDF. Si leur nombre augmente, celui des personnes vivant sous le seuil de pauvreté peut donc paradoxalement diminuer.
F24.com : Existe-t-il un moyen d’avoir une vision plus globale de la grande pauvreté ?
FJC : La pauvreté n’est pas seulement "économique". L’Observatoire nationale de la pauvreté et de l’exclusion sociale retient ainsi toute une série d’indicateurs qui prennent en compte le non-accès à certains droits fondamentaux. La grande pauvreté peut aussi se mesurer à l’aune du renoncement des personnes aux soins, actuellement en progression en France. Idem pour le logement, avec tous ceux qui n’ont pas accès à des logements sociaux parce que les projets de construction ne sont plus mis en chantier. Or, pour de nombreuses raisons, il n'y a pas totale concomitance entre la pauvreté monétaire et ces indicateurs complémentaires. On peut imaginer que certains renoncent aux soins par exemple ou à d'autres droits fondamentaux, évitant ce faisant d'être sous le seuil de
pauvreté. Mais à quel prix!
F24.com : Vis-à-vis d’autres États européens, la France s’en sort "plutôt bien". Est-ce également votre analyse ?
FJC : En effet. On note quand même que les pays scandinaves ont les meilleures
performances sociales, et les pays anglo-saxons les pires.. La situation de la France montre que les dispositifs de protection sociale offrent plusieurs filets de sécurité qui nous permettent de faire meilleure figure que la plupart des autres pays. Mais cette situation risque de changer si toutes les réformes entreprises ces dernières années ne sont pas amendées dans le futur. On note ainsi que le nombre de personnes âgées vivant sous le seuil de pauvreté en France est le plus bas d’Europe. Je ne pense pas que cette situation perdure avec la réforme de la retraite.