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Un an après la tuerie du stade de Conakry, les victimes réclament toujours justice

Les familles des victimes et les rescapés du massacre du 28-Septembre, où 157 opposants ont été tués et des centaines de femmes violées, attendent toujours réparation et craignent l'impunité. Aucun des présumés responsables n'a encore été inquiété.

Le 28 septembre 2009, un rassemblement pacifique organisé par l’opposition dans le plus grand stade de Conakry était réprimé par les forces militaires de la junte alors au pouvoir. Bilan : 157 morts, des dizaines de disparus, une centaine de femmes victimes de violences sexuelles et plus de 1000 blessés, selon un rapport d’enquête publié lundi par la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH) et l'Organisation guinéenne de défense des droits de l'Homme (OGDH).

"Aucun de ces bourreaux n’a encore été inquiété. L’insécurité est totale pour les victimes", dénonce à France 24 un militant des droits de l’Homme en Guinée, qui préfère garder l’anonymat par crainte de représailles. Blessé à la jambe ce jour-là, il souffre toujours aujourd’hui.

En décembre, la Commission d'enquête internationale nommée par l'ONU a publié un premier rapport. Les conclusions étaient sans appel, qualifiant les violences de "crimes contre l'humanité". La commission concluait également à la "responsabilité pénale individuelle" de Dadis Camara, chef de la junte à l'époque des faits. Ses neveux Siba Théodore Kourouma et Marcel Kuvugi sont également mis en cause par des témoins.

Mais une commission d'enquête nationale a, par la suite, blanchi le chef de la junte, affirmant qu'il n'est "responsable de rien" et a attribué "la responsabilité exclusive à Aboubacar Sidiki Diakité dit "Toumba"", aide de camp du chef de la junte Moussa Dadis Camara.

Toumba, en cavale depuis dix mois, avait tenté, deux mois après le massacre de tuer son patron, le capitaine Camara. "J'ai tiré sur lui" parce qu'"il avait essayé de faire reposer toutes les charges des événements du 28 septembre" sur moi", avait-il ensuite affirmé. Aujourd’hui, Toumba est toujours en fuite.

De son côté, le chef de la junte vit aujourd’hui au Burkina-Faso depuis les accords de Ouagadougou de janvier 2010. Il a été remplacé par le général Sékouba Konaté, chargé de conduire la transition jusqu'à la prochaine élection fixée en octobre.

Sous la pression de la communauté internationale et de la CPI, cette affaire est, aujourd'hui, instruite depuis février par trois magistrats désignés par le ministère de la Justice. Depuis, seules deux personnes ont été arrêtées en Guinée après le massacre. "On ne comprend pas bien l’implication de ces deux personnes avec les faits du 28 septembre, commente Martin Pradel, avocat au barreau de Paris chargé de mission pour la Fédération internationale des droits de l’Homme. Vraisemblablement, ce sont des militaires qui ne sont même pas des officiers de haut rang."

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Les Guinéens en quête de justice

"Les juges en vacances jusqu’à la fin de l’élection présidentielle"

L’élection semble ne pas favoriser le travail de la justice, selon Martin Pradel. "La soixantaine de victimes a demandé aux juges de réaliser un certain nombre d’actes d’instructions qui n’ont pas été pris en compte", indique l’avocat. "Tout simplement parce que depuis le mois de juin, ces magistrats ont été priés de prendre des vacances en attendant la fin de l’élection présidentielle."

Et de poursuivre : "On peut comprendre qu’il y ait des questions à ne pas poser en période d’élection. L’agenda judiciaire ne doit pas se calquer sur l’agenda politique, surtout quand on sait que l’agenda politique est sans cesse renouvelé."

La CPI toujours pas saisie

Aminata Diallo, une parente de Cellou Dalein Diallo, candidat au 2e tour de l’élection présidentielle a, elle, été durement frappée à la tête le jour du massacre. Aujourd’hui, elle attend que la Cour pénale internationale juge les auteurs de cette tuerie. "La Guinée ne peut pas s’en charger, commente-t-elle auprès de France 24. Je souhaiterais que ce soient les institutions internationales, comme la CPI, qui le fassent pour que justice soit faite et que ces morts reposent en paix".

Un avis partagé par la plupart des Guinéens, qui "préfèrent que le dossier soit pris en charge par la justice internationale, plutôt que par celle du pays", ajoute Rachid N’Diaye, directeur de la revue de référence des cultures africaines, "Matalana".

"Le défi du prochain gouvernement"

Toutefois, personne n’a pour l’heure saisi la CPI. En février, son procureur adjoint s’était rendu à Conakry pour une mission visant à déterminer si les crimes commis le 28 septembre 2009 relèvent de la Cour. Mais sa visite n’avait pas pour but d’enquêter.

"Je pense que la communauté internationale a choisi de laisser l’État, une fois le président élu, se doter d’une légitimité en saisissant la CPI sur ce dossier", poursuit Rachid N’Diaye.

La Guinée attend à présent le second tour de l'élection présidentielle dont la date a été reportée à plusieurs reprises. Fixée, à ce jour, au 10 octobre, le scrutin pourrait, une nouvelle fois, être annulé en raison d'un litige concernant le président de la commission électorale indépendante, accusé de partialité envers le candidat Alpha Condé. Cellou Dalein Diallo, sévèrement blessé par les militaires le 28 septembre, était arrivé en tête au premier tour avec près de 44% des voix, devant Alpha Condé, crédité de 18%.

"C’est le défi du prochain pouvoir guinéen, estime Martin Pradel. C’est même un devoir car l’impunité reste le problème endémique en Guinée." En attendant, la plupart des victimes vivent toujours dans la douleur et dans la crainte.