À New York, le sommet sur les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) brasse des données abstraites et diverses... Qu'en est-il sur le terrain ? Enquête à Madagascar, où la crise politique freine les projets depuis un an et demi.
Sur l’île de Sainte-Marie, l’une des plus pauvres et des plus reculées de Madagascar - mais aussi l’une des plus belles -, Gérard Hoareau a hérité d’un terrain qui appartient à sa famille depuis 1908. Aujourd'hui, celui-ci ambitionne d’y construire un hôtel et une clinique dont le fonctionnement ne manquera pas d'originalité, puisque les bénéfices issus de la structure touristique financeront l'activité de l’établissement médico-chirurgical. Cet ancien directeur général chez Hewlett-Packard défend avec enthousiasme son projet, baptisé Ecolodge d’Andzaha, qui vise à offrir au plus grand nombre des soins dispensés par un personnel recruté et formé sur place, dans des bâtiments respectueux de l’environnement. "C’est une contribution concrète, terre à terre, aux Objectifs du millénaires pour le développement (OMD). J’ai un attachement personnel à cet endroit, ma mère y est née, et je cherche à ce que ces OMD ne soient pas seulement théoriques et émotionnels, mais que leur réalisation soit palpable", explique-t-il.
Signés en 2000 par les 189 pays membres de l’ONU, les OMD ont pour ambition de réduire de moitié la proportion de la population vivant sous le seuil de l'extrême pauvreté (fixé à 1,27 dollar par jour), de garantir l'éducation primaire pour tous, de promouvoir l'égalité des sexes, de réduire la mortalité infantile, d'améliorer la santé maternelle, de combattre le sida et le paludisme, de préserver l'environnement d’ici à 2015. Tout un programme... Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, réunit actuellement à New York les chefs d’État qui ont signé le texte pour établir un bilan des réalisations, aux deux-tiers du parcours. Avec, en toile de fond, une question : les OMD sont-ils plus que de longs discours ?
Un défi monumental
À Madagascar aussi, les OMD sont, avant toute chose, des réunions. Tous les mois, rendez-vous est pris par secteur et par objectif pour faire le point. Elles réunissent les grands bailleurs de fonds, tels que la Banque mondiale, l’Union européenne (UE), la Banque africaine pour le développement et, bien sûr, l’ONU, représentée par la FAO, l’Unicef ou le PNUD. Se joignent également aux réunions l’USAID, l’organisme humanitaire public américain, et son équivalent français, l'Agence française pour le développement (AFD). "Les OMD ne sont pas que des réunions à New York. Ils sont pris en considération très concrètement", affirme Olivier Pezet, directeur de l’AFD à Madagascar. "C’est même la première fois depuis longtemps qu’on se met d’accord sur des politiques concertées. On a tellement souvent été critiqué pour mener des actions chacun dans notre coin..."
Seulement, dans ce pays de 20 millions d’habitants dont l’indice de développement humain (IDH) est l'un des plus faibles au monde (145e pays sur 182), atteindre les OMD est un défi monumental. Depuis janvier 2009 et le coup d’État d’Andry Rajoelina, l'ex-maire de la capitale, Antananarivo, contre le président Marc Ravalomanana, l’instabilité politique s’est aggravée. Depuis juin 2010, le programme de financement de l’UE à Madagascar - y compris l’aide humanitaire et l'aide d’urgence - est suspendu. La Banque mondiale a par ailleurs diminué des deux-tiers l’aide qu’elle apportait auparavant au pays. L’USAID a, quant à elle, drastiquement réduit sa politique d’aide. Sachant que la moitié du budget du gouvernement malgache vient de l’aide internationale, ce sont tous les investissements publics qui sont gelés dans l’île.
Par ricochet, les OMD relèvent donc plus du mirage que de la réalisation concrète. Le bureau de l’UE à Madagascar ne souhaite même pas les évoquer. "Sérieusement, vous voulez vraiment parler des OMD ? Vous plaisantez !", s’exclame la responsable de la communication.
Incitation
L’AFD, elle, n’a toutefois pas gelé la totalité de ses aides. Elle maintient a minima le financement des projets sanitaires et d’éducation déjà en cours. Mais Olivier Pezet, son directeur, est très pessimiste au sujet des fameux OMD. "On était sur une assez bonne trajectoire jusqu'au premier trimestre de 2009, avant la crise politique. Mais maintenant, on n’en sait rien. On ne se doute que d’une chose : on prend du retard et cela ne sera pas rattrapable."
Il reste à Madagascar quelques optimistes, pourtant. Le responsable local de Sainte-Marie, Jean-Brunnel Motudi, compte sur le tourisme pour renflouer le budget de l’île et financer l’assainissement de la ville. Il table sur l’aide internationale pour réhabiliter les routes de l’île. Et continue à recevoir des fournitures scolaires de la part de l’Unesco. "Pour nous, les OMD ne sont pas une utopie, affirme-t-il. Nous sommes très confiants. Il nous faut la bonne volonté de tous et que les dirigeants fassent leur boulot." La situation politique à Antananarivo ne bloque-t-elle pas tout ? "Cela empêche le développement économique du pays, c’est sûr. Mais à Sainte-Marie, nous avons notre autonomie et cela ne nous empêche pas de poursuivre des projets. On essaie de travailler avec d’autres entités : des jumelages, des investisseurs étrangers, des projets comme l’Ecolodge d’Andzaha, par exemple." Précisément, l’Ecolodge d’Andzaha ne trouve pas de financement public et doit trouver des investisseurs privés pour sortir de terre.
La région Bretagne a établi un partenariat avec la région d'Analanjirofo, où se trouve l’île Sainte-Marie. Malgré l’instabilité politique et l’absence d’interlocuteur au sommet de l’État, le responsable du département Solidarité internationale, à Rennes, ne veut pas baisser les bras. "Nous, dans le cadre d’une coopération décentralisée, nous souhaitons poursuivre l’appui aux populations, explique Pierre-Yves Lechat. Les OMD servent avant tout d’incitation. Au début, en 2000, on se disait que c’était loin. Plus on approche du terme, plus cela pousse à agir. Ceci étant, on est conscient des difficultés..."
En 2015, Madagascar ne sera sûrement pas le meilleur exemple à citer au sommet des OMD. À mi-parcours, en 2007, le pays pouvait prétendre atteindre seulement trois des huit OMD (Éducation, Lutte contre le sida et le paludisme, Égalité des sexes). À présent, selon les propres termes d’Olivier Pezet, "c’est désespéré".