À la tribune de l'ONU, le président français Nicolas Sarkozy s'est fait fort de rappeler que l'Hexagone était le deuxième contributeur mondial à l'aide au développement, derrière les États-Unis. Un point de vue sujet à caution, selon plusieurs ONG.
"La France a décidé de se mobiliser, a déclaré le chef de l’État français, Nicolas Sarkozy, lundi, à New York, lors de l'Assemblée générale de l'ONU. Nous allons être au rendez-vous de nos promesses" pour les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Avec 10 milliards d’euros consacrés aux OMD en 2009, l’Hexagone fait figure de bon élève de l’aide au développement – le pays se place bon deuxième en valeur absolue derrière les États-Unis.
Dans sa lancée, le président français a en outre indiqué qu'il comptait augmenter à hauteur de 20 % l’aide destinée à lutter contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Tout en renouvelant son attachement à une taxation des transactions financières. Une belle image qu’il convient tout de même de nuancer, selon l’Organisation de coordination et de développement économiques (OCDE) et plusieurs ONG.
Objectifs non tenus. En 2005, les pays qui ont signé les Objectifs du millénaire s’étaient engagés à atteindre d’ici à 2010 une aide publique pour le développement de 0,51 % du revenu national brut (RNB). Las, Paris ne tiendra pas cet engagement. Selon des prévisions publiées en avril par l’OCDE, la France devrait dépenser 0,47 %. Les Objectifs du millénaire prévoient que les pays signataires fournissent 0,7 % de leur RNB en 2015… Cela semble donc mal parti. "La France devrait maintenir les 0,47% d’aides pendant plusieurs années encore", affirme Hubert de Milly, coordinateur du groupe de travail sur l’efficacité de l’aide au développement à l’OCDE. Au sein de l’Europe en revanche, huit pays ont réussi à tenir leur engagement (Allemagne, Belgique, Danemark, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède).
Le contenu de l’Aide publique au développement (APD). L’Aide publique au développement (APD) correspond au montant des sommes allouées chaque année aux pays pauvres. Or, selon plusieurs ONG, à l’instar de la Coordination Solidarité urgence au développement (SUD), l’APD permet aux États d’inclure dans leur compte de l’aide des volets quelque peu fantaisistes.
Ainsi le premier bénéficiaire, en 2008, de l’APD française était… Mayotte, un territoire français. Une pratique étonnante mais légale puisque les régions ayant statut de "territoire" peuvent profiter, au même titre que les États, de l’aide au développement. "C’est la seule façon d’inclure des zones, comme les Territoires palestiniens, dont les besoins sont réels", résume Hubert de Milly.
Tous les ans, l'OCDE décortique l'aide au développement de chaque État membre. Les dernières statistiques définitives remontent à 2008, et l'ONG Coordination Sud a dressé le tableau des "pays" aidés par la France. Voici la liste des dix premiers pays dans l'ordre décroissant.
Mayotte : 329,12 euros
République démocratique du Congo : 255,12 millions d'euros
Irak : 218,42 millions d'euros
Liban : 212,03 millions d'euros
Turquie : 203,67 millions d'euros
Chine : 143,87 millions d'euros
Sénégal : 131,05 millions d'euros
Vietnam : 114,80 millions d'euros
Maroc : 113,15 millions d'euros
Tunisie : 111,25 millions d'euros
La France intègre également dans son calcul l’écolage (la subvention dédiée aux étudiants étrangers) et l’aide aux réfugiés. "Ce sont des aides certes nécessaires mais qui ne devraient pas être prises en compte dans l’aide directe au développement", juge Ronack Monabay, d’Action mondiale contre la pauvreté. La France avait d’ailleurs été vertement critiquée par l’OCDE en 2006 pour gonfler son aide à l’écolage. "Depuis lors, il est vrai que le montant à l’écolage a été réduit", souligne Hubert de Milly.
Enfin, en 2009, la France a déclaré 1 milliard d’euros d’annulation de dettes. Une somme qui fait bondir les ONG. "Ce qui est en cause ici, c’est le fait que pour certaines de ces dettes n’auraient de toute façon pas pu être remboursées et qu’en les effaçant, les pays ne viennent pas vraiment en aide aux pays pauvres", résume Hubert de Milly.
Le recours aux prêts. La France fait partie des trois derniers pays, avec l’Allemagne et le Japon, à avoir recours aux prêts et non pas à des dons directs aux États. Une opération qui, sur le moment, ne lui coûte pas un sou. "En effet, le pays prêteur emprunte lui-même de l’argent qu’il va fournir au titre de l’aide au développement, confirme Hubert de Milly. En réalité, il ne sort rien de sa propre poche."
Ainsi la France a-t-elle pu inscrire 1,3 milliard d’euros, soit 15 % de son APD, au titre de prêts sans avoir à les sortir de ses caisses. De plus, les pays ne peuvent pas prêter à n’importe qui : les États les plus pauvres, qui ne pourront de toute façon pas rembourser, ne peuvent pas souscrire de crédit. La France se prive ainsi de venir en aide à "des pays qui en ont le plus besoin", juge la Coordination SUD.