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La guerre contre les cartels de la drogue est-elle perdue ?

La guerre des cartels a fait 28 000 morts dans le pays depuis l'arrivée au pouvoir du président Felipe Calderon en 2006. La politique répressive du gouvernement contre les organisations criminelles est loin d'avoir fait ses preuves.

"Viva Mexico !" La capitale du Mexique s’est animée cette semaine au rythme des festivités du bicentenaire de l'indépendance du pays avec le fameux "grito", le cri de l’indépendance, lancé par le chef de l'État Felipe Calderon depuis le palais présidentiel, où s'est tenu un spectacle son et lumière aux couleurs nationales vert-blanc-rouge.

Mais si des centaines de milliers de personnes ont participé aux réjouissances, d'autres ont préféré regarder la cérémonie à la télévision, comme les y a exhortés le chef de la sécurité de Mexico. Des cérémonies ont également été annulées dans certains États du Nord où les narcotrafiquants font régner la terreur, comme le Michoacán, Zacatecas ou encore Chihuahua.

À l'origine de ces précautions : la flambée de violences enregistrée les semaines passées dans le pays. Ces derniers jours, huit personnes, dont un journaliste de 21 ans, ont été tuées à Ciudad Juarez, ville frontalière avec les États-Unis considérée comme la plus dangereuse du Mexique. La municipalité déplore plus de 2 000 morts liés au narcotrafic depuis le début de l’année.

Depuis l’arrivée au pouvoir de Felipe Calderon en décembre 2006, 28 000 personnes ont trouvé la mort dans des violences liées aux organisations criminelles à travers le pays, selon les chiffres diffusés en août par le Centre d’investigation et de sécurité nationale mexicain (CISEN). Un bilan inquiétant qui s’explique par deux phénomènes : les guerres d’influence entre les différentes organisations criminelles et les guerres de succession au sein même des cartels.

Guerre d'influence

Les différents clans se disputent le territoire afin de contrôler les routes stratégiques qui permettent d’acheminer la drogue depuis le sud du continent vers les États-Unis (60 % du trafic passe par la route du Pacifique, 24 % par la route du golfe du Mexique et 1 % par la voix terrestre qui traverse le Mexique depuis le Guatemala).

Les têtes des cartels tombent

16 décembre 2009 : Arturo Beltran Leyva, chef du cartel qui porte son nom, a été tué dans un raid des forces de sécurité mexicaines.
29 juillet 2010 : Le numéro trois du cartel de Sinaloa, Ignacio "Nacho" Coronel, a été abattu.
30 août 2010 : La police capture Edgar Valdez Villarreal, alias "La Barbie", un des principaux hommes de main présumés du cartel Beltran Leyva.
12 septembre 2010 : Sergio Villarreal Barragan, alias "El Grande", chef présumé du cartel de la drogue Beltran Leyva, est arrêté sans opposer la moindre résistance.

Les organisations de crimes organisés contrôlent 8 % des municipalités et exercent une forte influence sur 63 % du territoire, selon un rapport de la commission du développement municipal du Sénat, publié le 31 août. "Les organisations criminelles, qui fonctionnent comme des entreprises, remplissent une fonction sociale en donnant du travail aux gens qui sont exclus du système social, commente Jean Rivelois, auteur de "Drogue et pouvoirs : du Mexique au paradis". Elles s’implantent là où l’État est absent et profitent ainsi d’une main d’œuvre à bon marché."

Guerre de succession

Et depuis qu’Arturo Beltran Leyva, chef du clan des frères Beltran Leyva, a été tué en décembre 2009 par les forces de sécurité mexicaines, des guerres de succession se sont ouvertes au sein même du clan.

Le dernier combat mettait aux prises le clan dirigé par Hector Beltran Leyva, dernier des frères encore en liberté, et Sergio Villarreal Barragan, surnommé "El Grande", contre la faction dirigée par Edgar Valdez Villarreal, alias "La Barbie". Une lutte sans merci durant laquelle des dizaines de trafiquants ont été décapités ou pendus à des ponts.

"Ces guerres de succession qui affaiblissent les clans font le jeu du gouvernement", commente Jean Rivelois, également chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Dernièrement, les forces de sécurité mexicaines ont multiplié les arrestations chez les frères Beltran Leyva. "La Barbie" a été interpellé à la fin du mois d’août, 15 jours avant son rival "El Grande". Résultat : ce cartel est considéré aujourd’hui comme l'un des moins puissants du pays.

"Narco-terreur"

Est-ce que cela signifie que la politique de Felipe Calderon, qui, en 2006, s’était déclaré  en guerre contre les cartels de la drogue, mobilisant 50 000 militaires, est payante ? “Comment peut-on imaginer arrêter tous les narcotrafiquants ? Quant aux chefs, qu’ils soient enfermés, morts, extradés, leurs remplaçants existent déjà”, estime pour sa part le chef actuel du cartel de Sinaloa, Ismael Zambada, dit "El Mayo", dans un entretien surprenant accordé à "Proceso", une des plus importantes revues politiques du pays

"Depuis environ un an, les organisations mexicaines ont, elles aussi, déclaré la guerre au gouvernement en instaurant la 'narco-terreur', constate Jean Rivelois. Ce qui implique qu’elles s’attaquent à des cibles de plus en plus indifférenciées." Le massacre de 72 migrants retrouvés dans l’État de Tamaulipas, près de la frontière avec les États-Unis, n’en est qu’un triste exemple. Ce crime serait attribué aux gangs des Zetas, qui auraient abattu les clandestins après que ces derniers eurent refusé d’être enrôlés comme passeurs. Et Jean Rivelois de souligner : "Cette stratégie qui consiste à instaurer un climat de peur ne nuit pas aux organisations, car la population se retourne davantage contre le gouvernement, incapable de les protéger".

À l’approche de la prochaine élection présidentielle de 2012, le Parti d'action nationale (PAN) de Felipe Calderon joue gros dans ce dossier. Il ne lui reste plus que quelques mois avant de convaincre la population de ses avancées contre le narcotrafic. Pour "El Mayo", la guerre engagée par le gouvernement contre le trafic de drogue est définitivement perdue : “Le gouvernement a commencé à lutter tardivement, et il n’y a personne capable de résoudre des problèmes présents depuis des années.”

Depuis l'arrivée au pouvoir du PAN en 2000, la politique anti-drogue marque une réelle rupture avec le passé. "Aujourd'hui, les narcotrafiquants sont moins contrôlés au niveau fédéral et gardent une influence au niveau local et municipal, analyse Jean Rivelois. Alors qu'avant 2000, les partis politiques blanchissaient l’argent via l’action sociale ou le détournement des profits personnels. Le PRI [Parti révolutionnaire institutionnel, au pouvoir de 1929 à 2000] était considéré comme la lessiveuse du continent."

Pour éradiquer totalement le trafic de drogue, le gouvernement doit faire le ménage en son sein et nettoyer l’élite mexicaine de la corruption, estime Jean Rivelois. Et d’ajouter : "Il faudrait plutôt conseiller au gouvernement d'arrêter cette guerre contre les organisations criminelles, de reprendre possession de ces zones où l’État a toujours été absent et de voter pour un gouvernement qui négociera la paix sociale." Mais pour y arriver, le chemin semble encore long.