La Cour de cassation vient de confirmer l'interdiction de l'exposition "Our Body, à corps ouvert", présentée en France l'année dernière. L'Hexagone devient ainsi le premier pays à interdire "l'exposition de cadavres à des fins commerciales".
Peut-on faire payer pour exposer des cadavres ? La Cour de cassation vient de clore le débat : c’est non. Cette décision est marquante : il est très rare que la justice française en vienne à interdire une exposition. Et la France devient ainsi le premier pays à statuer contre les expositions payantes montrant des cadavres humains.
La polémique dure depuis plus de deux ans. L’exposition "Our Body, à corps ouvert" avait d’abord été présentée à Lyon et à Marseille au printemps 2008, puis à Paris, en février 2009, après avoir remporté un énorme succès aux Etats-Unis, en Allemagne et en Espagne. Le principe est d’exhiber des corps humains traités selon la technique spéciale de la plastination, créée par l’Allemand Gunther von Hagens : elle conserve de façon spectaculaire la chair humaine, sans qu’il y ait putréfaction. Le visiteur peut donc observer dans le détail l’imbrication complexe des organes et des muscles.
Soupçons sur l'origine des corps
Très vite, l’origine des corps fait débat en France. Deux associations, Ensemble contre la peine de mort et Solidarité Chine, soupçonnent les corps de provenir de Chine et d’avoir été vendus par l’administration pénitentiaire. Les corps exposés sont tellement parfaitement conservés qu’ils ont forcément été livrés quelques instants après le décès - donc après une mort programmée, font valoir les deux associations. Autre argument : ces corps sont parfaitement sains et ne présentent pas de pathologie qui aurait pu entraîner un décès immédiat. En réalité, les associations soupçonnent fortement ces corps d’être ceux de condamnés à la peine capitale en Chine – ils sont environ 6 000 chaque année.
Or, Encore Productions, qui fait tourner l’exposition en France, n’a jamais pu démontrer - sous prétexte du secret médical - que la fondation chinoise qui leur remettait les corps ne les avait pas achetés à l’administration pénitentiaire.
Les deux associations obtiennent gain de cause en avril 2009. Le juge des référés de Paris ordonne alors la fermeture de l’exposition, boulevard de la Madeleine à Paris, et la mise sous séquestre des corps. Selon lui, les cadavres n’ont pas leur place dans une exposition et leur mise en scène est contraire à la décence. Les organisateurs de l’exposition font appel : ils estiment que la décision est d’inspiration "ecclésiastique" et nourrie par les "convictions personnelles" du magistrat. Dix jours plus tard, la Cour d'appel de Paris confirme l'interdiction, mais emploie d’autres arguments : le juge insiste sur la nécessité de fournir la preuve de l’origine des corps exposés. Encore Productions se pourvoit alors en cassation.
L’exposition de cadavres à des fins commerciales contraire au Code civil
Pari perdu. La Cour de cassation vient à nouveau de donner raison aux deux associations. Elle retourne aux premiers arguments du juge des référés et décide que "l'exposition de cadavres à des fins commerciales" est contraire au Code civil. Lequel stipule : "Les restes des personnes décédées doivent être traités avec respect, dignité et décence."
"L’arrêt de la Cour de cassation est sévère. Il dit qu’on ne fait pas commerce de l’être humain. C’était le principe que nous défendions. Et nous sommes ravis", réagit Richard Sedillot, l’avocat de l’association Ensemble contre la peine de mort.
Le procès est-il moraliste, comme l’accuse les organisateurs de l’exposition "Our Body, à corps ouvert" ? Richard Sedillot s’en défend : "Si un jour on a la preuve certaine qu'il s'agit de corps de personnes complètement consentantes, pourra-t-on les exposer ou pas ? Je ne suis pas capable de répondre. C’est aux sociologues et aux philosophes de trancher."
Les tableaux représentant des corps, comme "les écorchés de Fragonard" semblent protégés par la décision de la Cour. De même que les expositions organisées au sein des musées. Néanmoins, des questions demeurent. "Le commerce, ça veut tout et rien dire", dit Me Patrice Spinosi, l'avocat de l'organisateur Encore Events, interrogé par l’AFP. "Reste à préciser la notion de ‘fins commerciales’ et à savoir si tout type d'exposition payante est susceptible ou non de tomber sous le coup de l'interdiction."
Maître Richard Sedillot espère que la décision de la France fera des émules dans d’autres pays. Il dit avoir été contacté par des associations du Canada et des pays de l’est de l’Europe qui souhaitent intenter le même genre de procès.