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Fidel Castro ne croirait-il plus au modèle cubain ?

Fidel Castro a indiqué que "le modèle cubain ne fonctionnait même plus" pour son pays. Si cette déclaration doit être remise dans son contexte, elle pourrait constituer son premier soutien officiel aux réformes économiques de son frère Raul.

La version de Jeffrey Goldberg vs. la version de Fidel Castro

Quelques jours après la publication du billet de blog du journaliste Jeffrey Goldberg, Fidel Castro a dénoncé une mauvaise interprétation de ses propos, affirmant qu'il  voulait dire "exactement le contraire". "Cela m'amuse maintenant de voir comment ils ont été pris au pied de la lettre", a-t-il affirmé. 

Pour sa part, le journaliste américain a maintenu les propos du lider maximo. "Je regrette de devoir le dire, mais l'expression 'le modèle cubain ne marche même plus pour nous' signifie 'le modèle cubain ne marche même plus pour nous'", a-t-il écrit sur son blog. "Je ne sais pas comment cette déclaration --reproduite de manière fidèle, ainsi que l'a reconnu Fidel Castro -- pourrait signifier autre chose que ce qu'elle veut dire", a-t-il ajouté.

L’annonce peut surprendre. "Le modèle cubain ne fonctionne même plus pour nous", a déclaré Fidel Castro au journaliste du magazine américain The Atlantic, Jeffrey Goldberg, lors d'un entretien publié sur le blog de ce dernier. Les spéculations vont donc bon train pour tenter de décrypter le message du "Lider Maximo", qui pourrait être un geste fort : celui de laisser à son frère Raul toute latitude pour continuer ses réformes économiques. 

Qu'a bien voulu dire Fidel Castro ? Les experts se veulent prudents concernant cet entretien, qui n'est pas retranscrit dans son intégralité sur le blog du journaliste. "Il faut remettre ces propos dans le contexte", prévient Alain Ammar, spécialiste de Cuba et auteur de l'ouvrage "Le jour où Castro a pris le pouvoir". En effet, le Lider Maximo répondait à une question du journaliste lui demandant s’il pensait que le modèle cubain était encore exportable.

Par le passé, Fidel Castro avait déjà déconseillé de reproduire le modèle cubain, que ce soit en matière de prise de pouvoir ou pour son économie. "Ne nous copiez pas, avait-il dit il y a quelques années en s’adressant à son allié le Venezuela", rappelle Janette Habel, spécialiste de Cuba et maître de conférences à l’Institut français d’Amérique latine (Ifal). Et de poursuivre : "S'il a bien déclaré que le modèle cubain ne fonctionne même plus pour Cuba, il apporte une nuance supplémentaire que j’interpréterais comme un soutien en faveur des réformes structurelles menées par Raul." Alain Ammar y voit aussi clairement "une victoire de Raul sur Fidel, qui va pouvoir librement rénover l’économie cubaine".

Les défis économiques de Raul face à l’appareil d’État

"Pour l’heure, les réformes pour libéraliser l’économie sont graduelles et lentes, poursuit Janette Habel. Car Raul rencontre une forte opposition au sein de l’appareil d’État, qui se réclame de Fidel, opposé depuis toujours à une ouverture du marché". Pour rappel, l’appareil d’État compte des centaines de milliers de fonctionnaires - des bureaucrates pour la plupart.

Raul Castro a pris le pouvoir le 31 juillet 2006 en promettant d’engager des réformes au plan des finances. Car l’économie cubaine a un genou à terre, notamment en raison de la crise internationale, des cyclones qui ont frappé l’île l’an passé et de son dysfonctionnement intrinsèque. "Il y a quelques mois, Cuba a frôlé la cessation de paiement à tel point qu'elle a bloqué les avoirs des entreprises étrangères", précise Janette Habel.

Depuis quatre ans, Raul Castro a mis plusieurs réformes en place : l'une agricole, qui consiste à donner des parcelles de terre en usufruit privé à des agriculteurs, et une autre, salariale, qui vise à accorder une plus grande place à la productivité. Depuis le mois d'août, Raul entend laisser davantage de place aux travailleurs indépendants, en leur donnant l’autorisation d’embaucher. Il a aussi annoncé la suppression d’un million d’emplois publics, en proposant des reconversions. "Mais cela ne peut se faire qu’en autorisant le travail artisanal et les petits commerces, donc en ouvrant l’économie. Ainsi, l’économie informelle – très importante sur l’île – serait réintégrée dans l’économie formelle", ajoute Janette Habel.

La déclaration du Premier Secrétaire du Parti communiste cubain, qui serait sa première prise de position depuis 2006 en matière de politique interne, serait surtout "le premier soutien public à la politique économique de son frère", souligne Janette Habel.

Fidel, "conscience universelle" ?

Cette annonce pourrait aussi avoir des répercussions au plan international. "Fidel Castro cherche à desserrer l’étau que représente l’embargo américain et à faire abroger la position de l’Union européenne", ajoute Janette Habel. Chaque année en juin, l’Union européenne adopte une position commune envers Cuba pour interdire tout accord de coopération si les droits de l’homme n'y sont pas respectés. Cette année, la décision a été reportée au mois d'octobre.

Par ailleurs, Fidel Castro a également détonné en déclarant que "cela ne valait vraiment pas la peine” d’inciter l’Union soviétique à utiliser l’arme nucléaire contre les Etats-Unis. "Ce serait la première fois qu’il évoque de tels propos", précise Janette Habel. De son côté, Alain Ammar estime que Fidel "se veut être désormais une conscience universelle en tenant un discours humaniste".

Du côté de Cuba, ses déclarations n’ont pour l'instant que peu d’échos. "Les Cubains ne lisent plus les journaux et ils croient encore moins à tous ces discours, commente Alain Ammar. Aujourd’hui, leur seule préoccupation est de savoir comment survivre au quotidien."

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