Une délégation roumaine est en visite en France pour évoquer une coopération renforcée sur la question des Roms. Mais la politique d'expulsion menée par Paris, et critiquée de toute part, a crispé les relations entre les deux pays.
C'est dans un contexte tendu que deux secrétaires d'État roumains chargés des populations Roms arrivent en France, ce mercredi, pour une visite de deux jours. Valentin Mocanu, chargé de l'intégration des Roms, et Dan Valentin Fatuloiu, responsable de l'Ordre et de la sécurité publique, vont rencontrer les ministres français de l'Immigration et de l'Intérieur, Eric Besson et Brice Hortefeux, ainsi que le secrétaire d'État aux Affaires européennes, Pierre Lellouche.
Cette réunion vise officiellement à renforcer et à améliorer la coopération entre les deux pays, à l'heure où les relations sont de plus en plus crispées. "Je vais leur demander d'aider à la réinstallation chez eux, dans leur pays, des membres de cette communauté, a indiqué lundi le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux. La France fait un effort, il appartient naturellement aux autorités roumaines d'accompagner cet effort."
Les autorités roumaines ont, elles, dénoncé le durcissement de la politique française d'expulsion des Roms. "La délégation roumaine va essayer de remettre les pendules à l'heure, mais il est évident que cela ne sera pas facile, explique Mirel Bran, correspondant de FRANCE 24 à Bucarest. A Paris, on considère que les Roms sont un problème roumain. A Bucarest, on estime que c'est un problème européen. Il ne sera pas facile de réconcilier ces deux visions."
Il n'y a pas de "risque d'invasion"
Mardi, le secrétaire d'État aux Affaires européennes, Pierre Lellouche a une nouvelle fois défendu la politique française à l'égard des Roms, dans une tribune adressée aux autorités roumaines et bulgares. "Ces populations, qui n'ont souvent jamais été scolarisées, sont dans la plupart des cas victimes de véritables réseaux et trafics d'êtres humains, écrit-il. [...] La libre circulation n'est pas sans limites et s'exerce en liaison avec des mesures de prévention de la criminalité. Elle ne saurait en aucun cas devenir un alibi à une immigration massive."
"La France n'a pas vocation à accueillir tous les Roms", a déclaré de son côté le secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, dans le quotidien Le Monde de mercredi. "En France, les Roms malades sont soignés, les enfants sont éduqués".
Membre du collectif RomEurope et président de l'association Hors la rue, Alexandre Le Clève a dénoncé sur FRANCE 24 le "risque d'invasion des populations roms en France", agité par les responsables politiques. "Les chiffres sont stables, il y a entre 15 000 et 20 000 Roms d'origine roumaine en France. C'est une goutte d'eau ! La France ne doit pas se dédouaner. La liberté de circulation et d'installation au sein de l'Union européenne est un principe fondamental", rappelle-t-il.
Surtout, la Roumanie n'est pas en mesure de régler seule les problèmes de ces populations, estime-t-il. Outre des problèmes de corruption, le pays fait face à de nombreuses difficultés. "La situation politique, économique et sociale est assez dramatique, constate-t-il. Il y a par exemple une baisse de 25 % des salaires des fonctionnaires, un quart d'entre eux va être mis à la porte en septembre, il n'y a plus d'autorité en matière de protection de la jeunesse... Beaucoup de signes témoignent d'une déliquescence de l'État."
La plupart des Roms sont originaires de Roumanie et de Bulgarie, deux pays membres de l’Union européenne (UE) depuis 2007. Ils peuvent donc circuler librement dans les pays de l'UE, mais sont soumis à des restrictions "transitoires". Ils doivent notamment demander une autorisation pour travailler en France.
Comme tous les Européens, les Roms sont soumis à une obligation de ressources s'ils désirent rester en France au-delà de trois mois. Ils peuvent également être expulsés à tout moment s'ils sont reconnus coupables de troubles à l’ordre public.
"On ira en France à pied"
Critiqué chez lui mais aussi à l'étranger, le gouvernement français poursuit néanmoins le démantèlement des camps illégaux. Selon Eric Besson, 635 Roms ont été reconduits dans leur pays d'origine depuis le 28 juillet, un nombre qui devrait atteindre 950 d'ici fin août.Quelque 10 000 Roms sont expulsés du territoire français chaque année. Si Paris parle de "retours volontaires", la majorité des Roms entendent bien revenir en France.
Fraîchement expulsées, des familles sont de retour dans leur village de Barbulesti, à une soixantaine de kilomètres de la capitale roumaine. Près de la moitié des Roms domiciliés dans ce village font régulièrement des allers-retours entre les deux pays. "Ils n'ont pas de quoi manger ici, ils vivent au jour le jour. C'est pour ça qu'ils partent, explique à FRANCE 24 le maire de la commune, Ion Cutitaru. Et voilà que le gouvernement français nous tourne le dos ! Mais tout ça, c'est la faute du gouvernement roumain. C'est lui qui a fait de nous des voleurs et des mendiants."
"On ira en France à pied, même si cela doit nous prendre un an, lance un habitant de Barbulesti. On doit bien gagner notre vie."
Critiques du Conseil de l'Europe
Mardi, la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (Ecri), un organe du Conseil de l'Europe, a à son tour mis en garde la France contre une stigmatisation des Roms. En juin déjà, elle avait demandé à Paris de combattre les attitudes racistes vis-à-vis de cette minorité et de respecter ses droits sociaux. Dans une déclaration publique - une démarche exceptionnelle -, l'Ecri a exprimé hier sa "déception" face une évolution "particulièrement négative".
Sortant de son silence, le Premier ministre François Fillon a annoncé qu'il saisira le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, pour "accentuer les initiatives dans le cadre européen".
"La lutte contre l’immigration irrégulière ne doit pas être instrumentalisée de part et d’autre. La tradition humaniste de la France va de pair avec le respect de ses lois par tous ceux qui se trouvent sur son territoire", a-t-il indiqué, appelant à agir "avec fermeté, continuité et justice, sans laxisme ni excès".