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L'ancien Khmer rouge "Douch" bientôt fixé sur son sort

Premier Khmer rouge à être jugé par un tribunal reconnu par les instances internationales, l'ancien directeur du sinistre centre de torture S-21 encourt, ce lundi, la prison à perpétuité pour crime de guerre et crime contre l'humanité.

Le Tribunal de Phnom Penh, chargé de juger les Khmers rouges sous l’égide de l’ONU, doit rendre ce lundi son verdict pour le procès de "Douch", directeur de la prison S-21 où 15 000 personnes ont été torturées et exécutées entre 1975 et 1979, sous le régime de Pol Pot.

Douch, de son vrai nom Kaing Guek Eav, est accusé de crime de guerre et de crime contre l’humanité. Aujourd’hui âgé de 67 ans, il encourt la prison à perpétuité. En novembre 2009, les procureurs avaient requis contre lui une peine de 40 ans d’emprisonnement.

Un tribunal controversé

L’homme est le premier responsable khmer rouge à être jugé par un tribunal reconnu internationalement. Ouvert en mars 2009, son procès a été émaillé d’incidents liés, entre autres, aux pressions politiques exercées sur la cour. Mi-cambodgienne mi-internationale, la juridiction est loin de faire l’unanimité dans le pays. Le Premier ministre Hun Sen a même accusé les juges étrangers de "recevoir des ordres de leurs gouvernements".

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Entretien avec François Ponchaud, témoin de l'évacuation de Phnom Penh par le régime de Pol Pot
L'ancien Khmer rouge "Douch" bientôt fixé sur son sort

Sans pour autant partager cette analyse, François Ponchaud, le prêtre français qui a révélé le génocide au monde en 1977 grâce à son ouvrage "Cambodge, année zéro", estime qu’il s’agit d’un procès politique. "[Cette cour est] le tribunal de l’hypocrisie internationale : les pays de tous les juges [étrangers siégeant au tribunal de Phnom Penh] ont soutenu les Khmers rouges pendant 14 ans, rappelle-t-il au micro de Cyril Payen, envoyé spécial de FRANCE 24 au Cambodge. Qu’on juge les responsables khmers rouges, c’est bien, mais maintenant, c’est beaucoup trop tard. C’est quand ils étaient au pouvoir qu’il fallait les accuser", conclut le prêtre, arrivé au Cambodge dans les années 1960.

Exécutions à coups de matraque

Entre 1975 et 1979, "Douch" tenait les rênes de la prison de Tuol Sleng, surnommée S-21, un ancien lycée de Phnom Penh transformé en camp de torture. Les anciennes salles de classe faisaient office de cellules ou de salles de torture. Des familles entières y étaient entassées, des milliers de personnes suppliciées.

Après la chute du régime de Pol Pot, d’innombrables documents expliquant en détail les rouages de la machine à tuer khmer rouge ont été récupérés. À S-21, des confessions manuscrites étaient arrachées aux détenus, accusés de travailler pour le compte des services secrets américains, russes ou vietnamiens. Les "traitres" étaient ensuite envoyés à Choeung Ek, un camp d’extermination situé à une vingtaine de kilomètres de la capitale cambodgienne. Entre 1974 et 1979, environ 17 000 personnes y ont été exécutées à coups de matraque.

Au cours du procès de "Douch", au printemps 2009, témoins et survivants ont défilé à la barre, témoignant des sévices infligés aux prisonniers. Ongles arrachés, brûlures, décharges électriques sur les parties génitales…

"On nous apprenait à fouetter les prisonniers avec des bâtons, à les électrocuter et à utiliser des sacs en plastique pour les asphyxier, témoigne notamment Prak Khan, un ancien fonctionnaire chargé de mener les interrogatoires au sein de S-21. Il fallait torturer les prisonniers tout en évitant qu’il meure ; car si c’était le cas, nous n’obtenions pas de confessions et nous étions punis."

Un simple "rouage" de la machine khmer rouge ?

À travers les témoignages, les expertises et les documents historiques le directeur du centre de torture apparaît comme un ex-bureaucrate zélé, soucieux de ne pas décevoir ses supérieurs et serviteur fidèle de l’utopie marxiste de Pol Pot.

Au cours de son procès, "Douch" s’est excusé à plusieurs reprises. Il a même admis sa responsabilité en tant que directeur du centre pour les 15 000 victimes de S-21. Mais il s’est appliqué à se présenter comme un simple "rouage" de la machine khmer rouge, arguant n’avoir ni torturé ni exécuté des prisonniers.

Quatre autres cadres du "Kampuchéa démocratique" aujourd’hui détenus devraient être jugés par ce même tribunal en 2011. Le "frère numéro 1", Pol Pot, est mort d’une crise de paludisme en juin 1998, reclu dans une base rebelle dans le sud-est du Cambodge.