Interrogé par France 24, l'avocat de Jérôme Kerviel assure que la Société générale a été contrainte de changer sa version concernant la fraude de 4,9 milliards d'euros. Selon lui, la banque a voulu charger le trader et le maintenir en prison.
Le 24 janvier, la Société générale annonce qu’elle a été victime d’une fraude pour un montant record de 4,9 milliards d’euros. Son PDG, Daniel Bouton, déclare aussitôt que c'est le fait d'un "homme seul", qui a construit "une entreprise dissimulée à l’intérieur du groupe" en parvenant à échapper "à toutes les procédures de contrôle".
Une version qui tient deux semaines. La banque revient sur ses déclarations au moment où sont versés au dossier des messages électroniques instantanés échangés avec un autre trader de l’ex-Fimat, filiale de la Société générale. Ce courtier, Moussa Bakir, est placé en garde à vue le 7 février pour être entendu par les juges.
Le lendemain, la Cour d’appel de Paris décide de placer alors Kerviel en détention provisoire, au motif "d’éviter toute concertation avec d’éventuels complices et co-auteurs", "éviter des pressions sur d’éventuels témoins", et "garantir la représentation en justice" du trader.
L’avocat de la Société générale, Maître Veil, interrogé sur le soudain revirement des déclarations de la banque, a réagi en déclarant au journal économique Les Echos : "Ce que l’on sait à ce stade-ci, c’est que les deux courtiers étaient amis, communiquaient. Est-ce que le courtier en garde à vue était simplement au courant de ce que faisait Jérôme Kerviel, l’a-t-il assisté et aidé ? L’enquête le démontrera, dans ce genre de sujet, il faut être prudent et c’est la raison pour laquelle je pense que la détention s’impose".
Maître Guillaume Selnet, avocat de Jérôme Kerviel interviewé par FRANCE 24, affirme que la banque est revenue sur ses déclarations initiales afin d’accréditer la détention de Jérôme Kerviel : "Elle (la Société générale) n’est revenue sur cette thèse de l’acte isolé, qui est la sienne depuis le début, uniquement à la veille de l’audience sur la détention de Jérôme, inventant à ce moment-là des complicités qui n’existaient pas, dans le but de s’assurer que Jérôme Kerviel soit effectivement envoyé en détention".
FRANCE 24 a cherché à joindre maître Veil, avocat mais aussi porte-parole de la Société générale dans cette affaire, afin de l’interroger sur le revirement de ses déclarations. Sans succès.
La détention du trader
Jérôme Kerviel est à la prison de la Santé depuis le 8 février, et ses deux avocats concentrent leurs efforts pour le libérer, et se disent "extrêmement impressionnés" par le "courage" de leur client, qui "n’a pas craqué".
Selon la récente réforme sur la détention provisoire, celle-ci ne peut excéder quatre mois et doit être justifiée. Les avocats du trader contestent donc cette décision de mise en détention et ont d’ailleurs déposé un pourvoi en cassation le 12 février. "La détention de Jérôme Kerviel n’est fondée sur aucun motif prévu par la loi", selon Maître Selnet.
Questionné sur le quotidien de son client, Maître Selnet a répondu qu’ "il a le quotidien de n’importe quel autre détenu, je pense qu’il passe son temps à tourner en rond dans sa cellule, à réfléchir au dossier, et il essaie de garder son calme en pensant à l’avenir".
Le 15 février, l’avocat de Moussa Bakir a porté plainte contre X pour "faux et usage de faux et dénonciation calomnieuse". Cette plainte vise la publication des extraits des messages instantanés échangés entre les deux traders qui auraient été "tronqués ou falsifiés" selon l’avocat. "Je ne sais pas par qui ils ont été truqués, mais la méthode a été utilisée dans le temps de la garde à vue de mon client pour accréditer la thèse d’une complicité avec Jérôme Kerviel", a-t-il déclaré à Reuters.
Claire Vassal