
Une enquête préliminaire a été ouverte à la suite des déclarations faites par l’ex-comptable des Bettencourt, ce mercredi. Un syndicat de magistrats critique cette décision prise par le juge Courroye, fustigeant au passage sa proximité avec l’Élysée.
À peine 24 heures après les révélations explosives de Claire Thibout au site Internet Mediapart, la justice s’est emparée de ce nouveau volet de l’affaire Woerth-Bettencourt. Le parquet de Nanterre a annoncé, mercredi midi, l’ouverture d’une enquête préliminaire sur ces allégations, qui mettent en cause non seulement le ministre du Travail Éric Woerth, mais aussi le président Nicolas Sarkozy.
Mais déjà, des dents grincent, notamment celles des juges du Syndicat de la magistrature (SM, étiqueté à gauche). Dans un entretien accordé à France24.com, sa vice-présidente Marie-Blanche Régnier se dit "très surprise qu’une enquête préliminaire soit ouverte et non pas une information judiciaire". Le SM se demande aussi si le juge Courroye, connu pour ses liens avec l’Élysée, est le plus à même d’enquêter sur l'affaire.
L'enquête préliminaire, un "choix stratégique"
Autrefois appelée "enquête officieuse", une enquête préliminaire est lancée sans l’existence d’une infraction par le procureur de la République d’un tribunal. Son objectif est de fournir un minimum d’éléments permettant ensuite de déclencher des poursuites ou de classer une affaire. Mais les officiers de police qui la mènent bénéficient de beaucoup moins de moyens pour conduire leurs investigations que lors d’une information judiciaire - les perquisitions, notamment, sont compliquées à effectuer et nécessitent l’accord de l’intéressé.
Dans le cas Thibout, l’enquête se trouve donc sous l’autorité de Philippe Courroye : c'est lui qui a demandé son ouverture, c'est à lui que les officiers de police qui vont la mener devront rendre compte, et c'est lui encore qui se réserve in fine le choix d’enterrer ou non le dossier.
Mais selon le SM et Marie-Blanche Régnier, une information judiciaire - donc menée par un juge d’instruction indépendant - "aurait dû être ouverte depuis longtemps". Depuis, précisément, le moment où les enregistrements effectués par le majordome de Liliane Bettencourt se sont retrouvés dans la presse, il y a trois semaines. L'organisation syndicale va même plus loin : pour elle, l’ouverture d’une simple enquête préliminaire n’est qu’un "choix stratégique" destiné à "garder le contrôle sur l’affaire" en la soustrayant à tout juge indépendant.
Un juge sous influence élyséenne
Un autre volet de l’affaire se prête, selon le SM, à la critique : la proximité connue et assumée du procureur Courroye avec Nicolas Sarkozy. Beaucoup soupçonnent le président de la République de l’avoir fait nommer à ce poste contre l’avis du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) pour classer des affaires politico-financières considérées comme sensibles ; certains évoquent sa relation directe avec le conseiller à la justice de l’Élysée, Patrick Ouart ; d’autres rappellent également que le président l’a promu en avril 2010 officier de l’Ordre national du Mérite et l’a alors présenté comme un "ami". "Le problème de l’indépendance du parquet est posé d’emblée, en raison des liens directs de Philippe Courroye avec l’Élysée", résume Marie-Blanche Régnier.
D’autre part, Philippe Courroye a déjà les mains plongées dans l’affaire Bettencourt : en charge du volet Banier, il avait décidé de classer l’affaire en septembre 2009 (avant qu’une autre juge ne la rouvre). Mais d’après les écoutes effectuées illégalement par le majordome de Liliane Bettencourt, cette décision aurait été annoncée à Mme Bettencourt et à son conseiller financier, Patrice de Maistre, dès juillet 2009.
Lors d’un entretien enregistré le 21 juillet 2009, ce dernier explique, en effet, à la milliardaire : "Le conseiller juridique à l'Élysée (…) m'a dit que le procureur Courroye allait annoncer le 3 septembre, normalement, que la demande de votre fille était irrecevable. Donc classer l'affaire. Mais il ne faut le dire à personne".
"Il lui est d’autant plus difficile de conduire cette enquête préliminaire qu’il est lui-même cité dans cette affaire, c’est évident", conclut Marie-Blanche Régnier, pour qui ce dossier illustre parfaitement les points sur lesquels les magistrats tentent d’alerter l’opinion : "La difficulté à enquêter sur les délits financiers, le manque d’indépendance du parquet, et la suppression dangereuse du juge d’instruction". Toutes choses initiées ou aggravées, selon le syndicat, par la réforme de la justice lancée par Michèle Alliot-Marie en mars dernier...