logo

Vers une fédération des réseaux djihadistes ?

, correspondant à Islamabad – De plus en plus meurtrières et organisées, les attaques des islamistes au Pakistan annoncent l’unification des groupes radicaux de la province du Pendjab.

Vendredi 28 mai, jour de prière à Lahore, la capitale du Pendjab. Dix hommes en armes donnent simultanément l'assaut à deux mosquées de la minorité musulmane des Ahmadis. Le combat qui s’engage entre forces de l'ordre et assaillants dure deux heures et se solde par un lourd bilan : au moins 90 morts et autant de blessés.

L’ampleur et le degré d'organisation des attaques, ainsi que le nombre de victimes qu'elles ont engendrées, ont provoqué un nouveau choc dans ce pays écrasé par la violence. Peu après le début de l’assaut des mosquées, un groupe se réclamant de la "branche  pendjabi" des Taliban en a revendiqué la paternité.

Le point névralgique du Pakistan contaminé par la violence

L’annonce a immédiatement déclenché une guerre des mots avec le ministre en chef de la province du Pendjab, Shahbaz Sharif, qui conteste le terme de "branche pendjabi". Minutieusement orchestrée, la dispute sémantique n'a pourtant pas permis de dissimuler un autre aspect de l’affaire, autrement plus inquiétant.

La violence qui secoue les zone tribales du Pakistan s’est étendue depuis la région montagneuse du nord-ouest jusqu’aux plaines du Pendjab, la plus peuplée des provinces du pays longtemps restée le cœur politique, économique et militaire de la nation.

Face à l'armée, les fondamentalistes se fédèrent

Le rapprochement du Mouvement des Taliban pakistanais (TTP) avec l'ensemble des groupes fondamentalistes du Pendjab est, en réalité, une conséquence des opérations menées depuis 18 mois par l'armée pakistanaise dans les régions de Swat, Orakzai ou encore au Sud-Waziristan. Même si leur efficacité a été largement mise en doute par Washington, elles auraient contraint le TTP à trouver refuge dans les grandes agglomérations pakistanaises, dont Lahore, accélérant ainsi le dialogue et les alliances entre groupes insurgés.

Pour Imtiaz Gul, directeur du Centre de recherche et d'étude de sécurité (CRSS) à Islamabad, cette nouvelle force ne menace pas que le Pakistan et ses minorités chiites ou ahmadis. Elle pourrait, à terme, renforcer les bases d'un réseau jihadiste pakistano-afghan. Jusqu'à présent, la coopération entre Taliban afghans et pakistanais restait faible. Mais la culture de réseau largement maîtrisée par des groupes plus anciens comme le Lashkar-e-Taiba et le Lashkar-e-Jhangvi pourraient donner aux Taliban l'organisation et l'unité qui leur manquent.

Une fusion des modes d'action

En mars 2009, l'assaut sur le bus de l'équipe nationale de cricket du Sri Lanka, déjà à Lahore, est attribuée au Lashkar-e-Taiba. Ce groupe qui, déjà, avait été désigné par New Dehli comme responsable du carnage de Bombay, en novembre 2008.

Cette organisation, originaire de Lahore, est connue pour avoir été soutenue et financée par l'État pakistanais à la fin des années 1980 pour déstabiliser le voisin indien lors de la guerre pour le contrôle du Cachemire. Reconvertie après le 11 septembre 2001 dans le jihad aux côtés des Taliban pakistanais, le Lashkar-e-Taiba a été interdit par Islamabad et classé organisation terroriste en 2002 à la demande des Américains. Aujourd'hui, l'organisation, clandestine, est toujours active.

Elle se distinguait jusqu'à présent des Taliban pakistanais par une gestion de type militaire de ses opérations. Mieux organisé, disposant d'hommes bien entraînés, le groupe ne pratiquait que peu l'attaque kamikaze qui est la marque de fabrique des Taliban. Or, l'opération du 28 mai contre les Ahmadis impliquait cette fois quatre porteurs de ceintures d'explosifs, dont trois sont parvenus à les déclencher. Pour Imtiaz Gul, "cette fusion des modes d'action est le signe d'une fusion des mouvements radicaux de la région, une alliance entre le jusqu'au-boutisme et le nombre d'hommes dont disposent les Taliban et les techniques militaires du Lashkar-e-Taiba".  

Ces groupes, soutenus par d’anciens officiers de l'armée et des policiers à la retraite,  évoluent au Pendjab sans être inquiétés. Pour Gul, "l'État pakistanais est peu influent dans cette vaste région rurale qui compte plus de 40 millions d’habitants".

Rejet des chiites et antiaméricanisme primaire

"L’éducation et la justice y sont quasi-inexistantes et le chômage très important, ce qui en fait un bassin de recrutement idéal pour l'ensemble des groupes insurgés." L’anti-américanisme primaire, le rejet des minorités - y compris chiites - et la théorie selon laquelle le gouvernement du Pakistan serait "vendu à l'étranger" sont les principaux axes de communication des fondamentalistes penjabis.

Il n’est pas rare que les chiites du Pakistan, notamment les Ahmadis, soient pris pour cibles. Dans les années 1980, la plupart des attaques était le fait du Sipah-e-Sahaba, une secte radicale sunnite affichant clairement sa haine des chiites.

Tout comme le Lashkar-e-Taiba, le Sipah-e-Sahaba a été interdit en 2002 sur décision du président d’alors, Pervez Musharraf. Mais depuis, l’organisation a changé de nom et poursuit ses activités dans la clandestinité.

Le groupe a aussi engendré le Lashkar-e-Jhangvi, une autre formation illégale issue d’une scission provoquée par le chef du Sipah après un différend avec d’autres leaders.

À la différence du Sipah et du Lashkar-e-Jhangvi, les Taliban pakistanais - ou Tehrik-e-Taliban - n’ont jamais visé les minorités chiites pakistanaises. Des communiqués de leur organisation publiés dans les médias présentent l’action des Taliban comme une mission de résistance contre l’armée pakistanaise associée à l’Otan et aux États-Unis.

Mais les attaques du 28 mai pourraient avoir marqué un tournant dans la stratégie de cette alliance de groupes jihadistes qui devient plus forte et plus solidaire.