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Les relations entre Bogota et ses voisins suspendues au résultat de la présidentielle

Du nom du vainqueur de l'élection présidentielle dépend la normalisation des relations entre Bogota et ses voisins vénézuélien et équatorien, en froid avec la Colombie d'Alvaro Uribe.

Il est au moins un point sur lequel les deux favoris du scrutin présidentiel colombien, l’écolo excentrique Antanas Mockus et le libéral-conservateur Juan-Manuel Santos, sont d’accord : empêcher les pays voisins de s'ingérer dans l’élection qui doit se tenir le 30 mai. Lors d’un débat télévisé diffusé le 18 mai, les six principaux candidats à la magistrature suprême ont même adopté une déclaration commune demandant au président équatorien Rafael Correa et à son homologue vénézuélien Hugo Chavez de ne pas interférer dans la campagne.

Car l’une des questions du scrutin est la suivante : l’élection de l’outsider Antanas

Mockus peut-elle faire prendre un nouveau cap à la diplomatie colombienne ? L’hypothèse est peu probable, indique Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques de Paris (Iris). Selon ce spécialiste de l’Amérique latine, "on s’oriente vers une continuité diplomatique", quel que soit le candidat élu, sur les trois gros dossiers qui opposent Bogota à ses voisins.

Colombie-États-Unis : accord militaire contre libre-échange

Le premier est épineux : le renforcement de la coopération militaire avec Washington, décidé à l’été 2009, va permettre aux États-Unis d’utiliser au moins sept bases en territoire colombien. S’il s’agit officiellement de lutter contre le terrorisme et le narcotrafic, Hugo Chavez n’a pas caché sa colère qui considère l’accord comme une sérieuse entrave à la paix régionale. Le Venezuela a même gelé, pour la troisième fois en trois ans, ses relations diplomatiques avec la Colombie et rappelé son ambassadeur jusqu’à l’issue du scrutin présidentiel.

Mais d’après Jean-Jacques Kourliandsky, le résultat du 20 juin, date du second tour, n’y fera rien : "aucun candidat n’a dit qu’il reviendrait sur cet accord, et même le candidat du Pôle démocratique [rassemblement de gauche] s’est engagé du bout des lèvres à respecter l’engagement pris par Alvaro Uribe". D’autant plus, précise t-il, que "Bogota est en pleine négociation avec Washington d’un accord de libre-échange", contrepartie économique de ce partenariat militaire.

Colombie-Venezuela : le risque de l’escalade militaire

Mais les relations entre Bogota et Caracas pourraient se réchauffer en cas de victoire d’Antanas Mockus. Il faut dire qu’elles avaient rarement été aussi glaciales que sous les mandats d’Alvaro Uribe, plombées par plusieurs dossiers : la destruction en novembre 2009 par l’armée vénézuélienne de deux petits ponts situés à la frontière entre les deux pays, l’enlèvement puis l'assassinat au Venezuela de neuf ressortissants colombiens par un groupe indéterminé, le meurtre de deux soldats vénézuéliens à la frontière, sans compter les soupçons de soutien aux rebelles des FARC qui pèsent sur Hugo Chavez.

Alors que l’élection de Mockus occasionnerait une "détente prévisible", pronostique Jean-Jacques Kourliandsky, celle de Juan-Manuel Santos, ancien ministre de la Défense et partisan acharné de la politique sécuritaire d’Alvaro Uribe, pourrait aggraver la situation et "perpétuer le gel des relations entre les deux pays, notamment leurs relations commerciales". Caracas impose en effet un embargo commercial à Bogota, obligée d'importer des biens de Chine ou d'Argentine.

Colombie-Équateur : le mauvais souvenir de Santos

1er mars 2008 : en pleine nuit, l’armée colombienne bombarde un camp des FARC situé au nord de l’Équateur et envoie des commandos tuer une vingtaine de guérilleros, dont le numéro deux de l’organisation, Raúl Reyes. Les relations entre Quito et Bogota sont immédiatement gelées, le président équatorien Rafael Correa dénonce la violence colombienne et masse des troupes à la frontière… Depuis cet épisode, l’Équateur est devenu, après le Venezuela, l’autre grand ennemi de la Colombie dans la région, d’autant plus des documents démontrant des liens financiers entre des responsables politiques équatoriens et la guérilla colombienne ont été ensuite découvert.

Brouillés, les deux voisins se réconcilient peu à peu. Alvaro Uribe a présenté des excuses à son homologue équatorien, et la normalisation est en cours. L’élection d’Antanas Mockus accélérerait le réchauffement des relations colombiano-équatoriennes, ce qui est beaucoup moins sûr en cas de victoire de Juan-Manuel Santos. Alors ministre de la Défense, ce dernier avait personnellement ordonné l’attaque du camp des FARC en territoire équatorien. "Une victoire d’Antanas Mockus serait une excellente chose non seulement pour la Colombie mais aussi pour la stabilité politique de toute la région, notait récemment un éditorialiste du quotidien équatorien "Hoy". En revanche, si Santos l’emportait, les divergences régionales nées sous Uribe s’aggraveraient." Une manière de dire que si Santos fait office de repoussoir, Mockus apparaît comme un espoir pour les pays voisins.

"Quel que soit le candidat élu, conclut Jean-Jacques Kourliandsky, il devra s’appuyer sur le Brésil, qui s’entend aussi bien avec le Venezuela de Chavez qu’avec l’Équateur de Correa, et assure à la Colombie une représentation au sein de l’Union des nations sud-américaines (Unasur), l’organisation économique et politique lancée par le président brésilien, Luiz Inácio Lula da Silva, en 2008.