Passer du virtuel au réel, les apéros géants de Facebook y invitent régulièrement, ce qui explique sûrement son succès. Pourtant, le phénomène n'a rien de nouveau. Focus des experts sur un phénomène aussi fulgurant qu'éphémère.
Un lieu, une heure, et un groupe. Le principe des apéros géants organisés sur Facebook ne cessent de défrayer la chronique depuis quelques semaines. Le prochain, organisé à Paris, au Champ de Mars le 23 mai, vient d’être interdit par la préfecture. Sans doute à cause des tragiques dérives recensées depuis quelques semaines. Un mort à Nantes, le 15 mai dernier, dix hospitalisations à Montpelliers le 13 mai, une cinquantaine de comas éthyliques à Rennes, le 25 mars.
Pourtant, le principe n’est pas nouveau. "Les rassemblements d’occupation de l’espace public existe depuis des années", explique Jean-Christophe Sevin, sociologue à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS).
Non, Facebook n’a rien inventé. Nina Testut, auteure de "Facebook, et moi, et moi, et moi" (éditions Hoëbeke) en est convaincue. "Prenez des exemples simples : les repas de quartier, ou les fêtes de voisins. Ils traduisent une recherche de lien social de convivialité en ville, au même titre que ces apéros. Les flashs mobs, nombreux il y a encore quelques mois, rejoignent la même idée de performance. Et les raves parties, dans les années 1990, fusionnent avec cette démarche actuelle de transgression, de contre-culture".
Tous ces rassemblements, quelle que soit leur nature, rejoignent la même idée "d’expérimentation collective" selon les deux experts. Seule différence, l’impact de la redoutable rapidité de Facebook.
Une simple annonce peut réunir jusqu’ à 1 000 personnes en quelques heures. "Avant, l’organisation d’un événement passait par le transistor, les radios libres, les cabines publiques, le tract. Aujourd’hui, Facebook sert d’amplificateur", explique Dominique Cardon, spécialiste des mouvements sociaux à l’EHESS.
La raison de leur succès
L’explication de ce succès fulgurant s’expliquerait par le "besoin d’être ensemble dans une société postmoderne malade de son individualité", note Jean-Christophe Sevin. Le même type d’explication que l’on donnait aux raves parties dans les années 1990. Sans doute, vient-il à un moment où le virtuel ne suffit plus.
Les jeunes "apéro addict" ne cherchent pas à comprendre les raisons de ce phénomène. Ils savourent l’idée d’un rendez-vous festif sans se poser de questions. "C’est un rassemblement gratuit, sympa entre jeunes. C’est tout", confie Amandine, étudiante à la Sorbonne. Pourtant, rendez-vous ne rime pas forcément avec rencontre. Jean-Christophe Sevin et Dominique Cardon préfèrent parler d’ "essaimage". "Chaque groupe vient avec ses amis, il n’y a pas vraiment de mélange", note le spécialiste des mouvements sociaux.
La portée politique des rassemblements
Pas de communion donc, mais un même fil conducteur : la dimension libre et hors de contrôle de l’événement. "Dans une société aseptisée, globalement contrainte, c’est une poche de respiration jubilatoire, sinon, pour certains, une forme de provocation", souligne Nina Testut.
Une provocation face à laquelle les pouvoirs publics peinent à trouver une réponse. Une impuissance dont s’amusent les participants. "Plus ils interdiront les apéros, plus nous serons là pour les accueillir", assure Julien, à un mois des épreuves du bac.
Rien de politique pourtant, tout est ludique selon Jean-Christophe Sevin. "Il faut remarquer l’irresponsabilité des participants, les déchets laissés, les dégradations commises et la consommation d’alcool abusive", explique-t-il.
Leur caractère cyclique
L’emballement médiatique sur le sujet ne contribue pas à calmer le phénomène, au contraire, il tend, "à le transformer en une forme de concours, à qui organisera le plus grand apéro", explique Nina Testut. Et quand toutes les villes auront fini de se concurrencer, "un autre événement prendra le relais. Internet crée aussi vite qu’il épuise", note Dominique Cardon.
Comme les flashs mobs avant eux, la durée de vie des apéros géants sera sans doute courte. Dure loi de la mode et de la créativité continue des internautes. La force de ces rassemblements "est aussi leur faiblesse : une légèreté conjoncturelle", conclut Christophe Sevin. Alors quid de la prochaine mode qui agitera la sphère Facebook? Sur la toile les idées ne manquent pas : "Tournois de poker" ou "rassemblement zen-écolos" pour les plus pondérés. "Woodstock parisien", pour les hippies nostalgiques. Des "orgies géantes et en plein air", ou "concerts sauvages en tenue d’Adam et Eve" sont aussi évoqués. Les autorités n’ont pas fini d’angoisser.