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L'Irak en toile de fond pour les très attendus thrillers politiques de Liman et Loach

, envoyé spécial à Cannes – Cannes a découvert jeudi deux thrillers politiques axés sur la guerre d'Irak. Suspens pour l’Américain Doug Liman avec "Fair Game" et didactisme pour le Britannique Ken Loach avec "Route Irish".

La Croisette est revenue à des considerations plus politiques, ce jeudi, avec deux films en compétition : celui de Doug Liman, "Fair Game" et celui de Ken Loach, "Route Irish". La présence de Doug Liman dans la liste des réalisateurs nominés pour la Palme d’Or en a étonné plus d’un. Le réalisateur américain est plutôt connu pour ses comédies légères ("Swingers") et ses films d’action à gros budget ("La mémoire dans la peau", en 2002, "Mr and Mrs. Smith", en 2005). La surprise était d’autant plus grande qu’il est le seul Américain à avoir été sélectionné pour Cannes.

Quant à Ken Loach, son film "Route Irish" s’est ajouté à la sélection officielle à la dernière minute. La critique était curieuse de voir si le spécialiste anglais du réalisme social avait quelque chose de neuf à dire, après l’humoristique "Loking for Eric", (avec Eric Cantona).

En fait, la réponse n’est pas évidente. Avec "Route Irish", Ken Loach renoue avec ses films tourmentés par la politique, mais en même temps, ce qu'il propose n’est pas fondamentalement novateur par rapport aux nombreuses productions cinématographiques qui ont pour thème la guerre en Irak. Loach raconte l’histoire de Fergus, un Britannique qui revient d’Irak, où il était employé par une société privée de sécurité. Cet homme a une idée en tête : dénouer les circonstances troublantes dans lesquelles son meilleur ami, avec lequel il travaillait en Irak, est mort. Avec la veuve de cet ami, Rachel, il se lance dans l’enquête.

Bien sûr, Ken Loach apporte au film tout son savoir-faire. Les scènes avec Rachel et Fergus sont crues, à vif. Mais le réalisateur, accompagné de son scénariste Paul Laverty, a eu la main lourde, et "Route Irish" manque au final de tension dramatique et de tenue. Le film avance d’un bon pas, mais ne parvient pas à emprisonner le spectateur dans le nid de vipère corrompu et violent dans lequel s'est fourré Fergus, ou à lui faire perdre haleine aux côtés du héros dans sa quête de vérité. Comme par le passé, Loach est parfois un peu maladroit lorsqu'il s’agit de faire passer ses marottes politiques. Le travail du réalisateur britannique respire évidemment l’intelligence, mais dans le cas de "Route Irish", le film s’empêtre dans le didactisme.

Question idéologie et causes à défendre, le réalisateur Doug Liman est bien plus léger. Mais il a un instinct bien plus développé pour installer un suspens sur le fil du rasoir. Dosant habilement le divertissement et le policier, son film est une bouffée d’air frais au milieu d’une sélection de films tantôt sur la misère, tantôt sur la souffrance.

Doug Liman raconte comment l’ancien agent secret américain Valérie Plame Wilson (Naomi Watts), a été mise aux bancs de la CIA. Rappel des faits, pour ceux qui ne sont pas au courant de cette affaire explosive qui a fait la une des journaux en 2003 : des membres de l’administration Bush ont révélé la double identité de Valérie Plame pour jeter le discrédit sur son mari Joseph (joué ici par Sean Penn), ambassadeur, qui, dans les colonnes du New York Times, a accusé la Maison Blanche d’avoir affirmé trop rapidement et sans preuve qu'il existait des armes de destruction massive en Irak.

La première heure de "Fair Game" est un modèle de scénario synthétique et finement calibré. Alors qu’on voit Valerie voyager d’un pays à l’autre, se faire passer pour quelqu’un qu’elle n’est pas, rentrant en hâte pour écrire ses rapports et mener un semblant de vie familiale, Liman capte dans l’œil nerveux de Naomi Watts une anxiété qui trompe l’impassibilité affichée du personnage. Naomi Watts a toujours été une actrice quelque peu réservée. Cette qualité la désigne pour ce rôle de femme qui garde précieusement toutes ses cartes en main, dans le cas où la situation pourrait déraper. Valérie est une héroïne captivante et quand sa carapace d’agent secret se fissure, le trouble envahit l'écran.

Dans la peau du mari instable, Sean Penn est tellement impliqué et naturel, qu’il n’a même pas l’air de jouer un rôle. L’indignation de Joseph est le moteur du film, mais "Fair Game" n'en fait heureusement pas des tonnes. Les habituelles simagrées hollywoodiennes sont réduites à la portion congrue. La trame de l’histoire prend le temps de rentrer dans l’intimité d’un couple peu conventionnel, où chacun campe sur ses positions pour rester fidèles à ses valeurs.

"Fair Game" s’essouffle néanmoins dans les vingt dernières minutes, avec certaines scènes un peu surfaites – une conversation animée entre Valérie et son père, une réconciliation larmoyante avec Joseph. Il y a bien des grincheux qui penseront que ce film “n’a pas sa place à Cannes”. Mais le long-métrage de Doug Liman est l’un des rares de la compétition à tenir ses promesses. Le réalisateur de divertissement américain aurait peut-être même quelques conseils à donner au très respectable Ken Loach.