
Pour la première fois, un site Web offre un espace de dialogue entre Syriens et Israéliens. Une initiative qui vise à lever les obstacles à la signature d'un accord de paix entre les deux pays, en guerre depuis 1948.
Sur la page d’accueil, des photos de Syrie en côtoient d’autres d’Israël. Le titre, OneMideast ("Un seul Moyen-Orient"), peut sembler provocateur, compte tenu des fractures politiques qui ont cours dans la région. L’ambition de ce site, mis en ligne le 17 mai, l’est cependant tout autant : offrir un espace de dialogue israélo-syrien. Du jamais vu.
Israéliens et Syriens n’ont, en effet, jamais discuté ensemble, librement et publiquement, des obstacles à la paix entre leurs deux États. Damas interdit à ses citoyens de dialoguer de visu avec un Israélien. "Avant de parler de solution au conflit, nous voulons que les gens comprennent pourquoi les négociations ont toujours échoué", explique à France24.com Camille Otrakji, un blogueur syriano-canadien à l’origine du projet.
La démarche a donné lieu à l’établissement de deux listes de 20 obstacles à la paix. L’une élaborée par les Israéliens, l’autre par les Syriens. À chacun de ces points d’achoppement s’ajoutent plusieurs contre-arguments, comme autant de pistes de réflexion pour le futur. Côté syrien, on insiste sur le fait que "ce qui a été pris par la force doit être repris par la force", ou encore qu’Israël a "besoin de conflit pour survivre". À l’objection israélienne selon laquelle la Syrie soutiendrait le terrorisme, les collaborateurs du site rétorquent qu’un État peut avoir un effet modérateur sur des organisations qui, sans cela, seraient livrées à elles-mêmes.
Forum privé
"Nous avons voulu être le reflet le plus fidèle possible de l’opinion des deux populations", explique Camille Otrakji. Un travail de synthèse qui ne s’est pas fait en une nuit. Et s'il est encore un peu tôt pour préjuger de l'avenir de OneMideast, la naissance du site est, déjà, un succès en soi.
"Tout a commencé en 2007 par une contribution de Camille Otrakji dans 'Haaretz' [le grand quotidien de gauche israélien, NDLR] sur les 40 ans de l'occupation du Golan", se souvient le spécialiste américain de la Syrie Joshua Landis, l’un des collaborateurs de OneMideast et auteur du blog Syria Comment. Son texte suscite alors une avalanche de commentaires, et plusieurs intervenants des deux pays décident de poursuivre les débats sur Syria Comment de manière régulière. Mais, en septembre 2009, certains ressentent le besoin d’aller plus loin. "Il y avait trop de commentaires inutiles, voire violents. Il fallait faire le tri et organiser le tout", raconte Camille Otrakji.
Ces derniers se retrouvent alors sur un forum privé dont l’accès nécessite un mot de passe. Universitaires, journalistes, blogueurs : ils réfléchissent ensemble, pendant huit mois, à la fameuse liste des 20 obstacles à la paix. "Les échanges étaient très fructueux, se rappelle Camille Otrakji. C’était la première fois que des Israéliens expliquaient à des Syriens comment communiquer avec eux, et vice-versa."
"Mauvais juifs"
Tout mettre en ligne n’a, toutefois, pas été évident. "J’ai bien cru qu’on n'y arriverait pas", raconte Joshua Landis. Passer de l’ombre la lumière n’est pas du goût de tous. L’œil de Damas inquiète certains Syriens, tandis que plusieurs Israéliens "craignent de passer pour de mauvais juifs aux yeux de leurs concitoyens", explique le blogueur. En définitive, la petite troupe opte pour l’anonymat. On saura seulement que dix Syriens - tous expatriés - et dix Israéliens sont derrière le projet OneMideast, quelques porte-paroles comme Camille Otrakji et Yoav Stern, un ancien journaliste de 'Haaretz', étant chargés de faire connaître l'initiative.
La franchise avec laquelle le conflit syro-israélien est abordé risque de ne pas plaire à tout le monde, et notamment aux autorités syriennes. "Il est clair qu’on va avoir des problèmes", confie Joshua Landis, qui se souvient que Damas a plusieurs fois voulu faire fermer son blog. "Dans le pire des cas, il sera inaccessible depuis la Syrie, ce qui nous laisse tout de même le reste du monde !", se console pour sa part Camille Otrakji.
Reste une question, et non des moindres : celle de la finalité d'un tel projet... "Si cela permet de nuancer les avis de certains décideurs ou de l’opinion publique, on aura gagné", reprend Camille Otrakji. Plus pessimiste, Joshua Landis rappelle de son côté que, à "l’heure actuelle, rien n’a réellement d’impact sur les négociations entre les deux pays". Mais que ce n’est pas une raison pour ne rien faire...