
Réguler les spéculations autour des marchés est très compliqué, juge Philippe D'Arvisenet, directeur des études économiques chez BNP Paribas. Celui-ci prône la mise en place d'une solidarité budgétaire européenne.
Les spéculateurs, qui craignent une propagation de la crise grecque à l'Espagne, ont affolé les bourses européennes, mardi. En début de séance mercredi, Madrid et Athènes cédaient encore plus de 3 %, avant de se ressaisir en milieu de journée. La monnaie européenne a, elle, atteint son plus bas niveau depuis avril 2009, tombant à 1,29 dollar. "Si l'Europe ne règle pas ses problèmes institutionnels fondamentaux, l'avenir de l'euro sera peut-être très bref", a déclaré mardi le prix Nobel d'économie, Joseph Stiglitz.
Philippe D’Arvisenet, directeur des études économiques chez BNP Paribas, ne croit pas à "la fin de l'euro". Et espère que la crise grecque poussera les États de la zone euro à réfléchir aux failles du système.
Mardi, une rumeur a affirmé que la crise grecque pourrait se propager à l'Espagne, affolant les marchés. Comment est-elle née ?
Il s'agit d'un exemple parlant. Une rumeur affirme que l'Espagne a fait une demande d'emprunt de 280 milliards d'euros au FMI, ce qui correspond à la moitié de sa dette totale. Cela ne tient absolument pas debout ! Le président du gouvernement espagnol dément, le FMI dément... Mais le mal est fait. Les marchés jouent sans arrêt à se faire peur.
Les rumeurs sont toujours provoquées : elles ne naissent pas pour rien, elles sont là pour que quelqu'un en profite. Qui a lancé celle-ci ? Cela peut être quelqu'un dans une salle de marché ou bien l'oeuvre de fonds spéculatifs ; on ne saura jamais. Le rôle des agences de notation peut aussi être mis en cause... De nombreuses acteurs peuvent être impliqués. Ce qui est préoccupant, c'est que les anticipations des investisseurs fabriquent la réalité. Il y a une crise de défiance des marchés envers la zone euro qui s'autoalimente.
Quelles conséquences cette situation peut-elle avoir sur l'économie espagnole ?
La situation de l'Espagne est très différente de celle de la Grèce. Sa dette est inférieure de moitié et il n'y a pas eu un tel niveau de falsifications des comptes. En revanche, il est certain que dans les prochaines années, de nombreux pays européens - l'Espagne, mais aussi le Portugal ou l'Irlande - vont devoir être beaucoup plus sérieux en matière budgétaire. C'est le seul moyen pour rassurer les marchés à court terme. Cette austérité budgétaire va freiner davantage l'activité économique de ces pays, mais aussi creuser encore plus les disparités au sein de la zone euro.
D'une certaine façon, l'Allemagne, les Pays-Bas ou la France bénéficient de cette situation. Quand les taux d'intérêts montent sur les titres grecs - parce que ces titres ne sont pas sûrs, et donc pas attractifs -, ceux des autres pays dégringolent. Celui de l'Allemagne par exemple est à moins de 3 %.
L'euro a atteint son plus bas niveau depuis un an. Croyez-vous à la "fin de l'euro" évoquée par le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz ?
D'abord, il ne faut pas forcément se plaindre de la baisse de l'euro. Il y a quelques mois, on considérait qu'il était trop élevé. Un euro fort est un obstacle aux exportations ; depuis le mois de novembre, on observe que les commandes d'exportations sont en hausse. Cette baisse n'est donc pas entièrement négative.
Ensuite, les Anglo-Saxons prédisent la fin de l'euro depuis 15 ans. La monnaie unique ne leur plaît pas depuis le début ; ils rêvent que l'on sorte de l'euro.
Mais en réalité, ce serait très compliqué. Il faut réfléchir aux conséquences, à la fois pour ceux qui sortiraient et pour ceux qui resteraient dans la zone euro.
Si vous êtes grec et que vous avez un peu d'argent à la banque, vous ne voulez pas que l'on dévalue votre monnaie par deux. En Argentine, la dévaluation du peso a provoqué des mouvements sociaux très importants. Sortir la Grèce de la zone euro aurait été une solution beaucoup plus violente et pleine d'incertitudes. Les Allemands n'y ont d'ailleurs pas non plus intérêt. Comme les autres, ils exportent la moitié de leur production au sein de la zone euro. Il leur serait très dur de vendre si les pays voisins avaient une monnaie dévaluée.
Quelles solutions peut-on envisager ?
Si la situation continue à se déteriorer, il faudra que les États de la zone euro fassent quelque chose. Sinon, nous irons dans le mur. Il faut trouver des réponses aux défauts du système de l'euro. Nous savons depuis le début qu'il n'y a pas de fédéralisme : il y a d'un côté la Banque centrale européenne (BCE) et de l'autre une multitude de gouvernements ; nous savons aussi que rien n'est prévu en cas de crise.
Face à cette situation, il faut mettre en place la solidarité budgétaire européenne. La Californie, par exemple, a une situation budgétaire désastreuse, mais personne n'envisage de faire sortir la Californie des États-Unis ! Soit tout le monde devra se serrer la ceinture, soit on ira vers cette forme de fédéralisme.
Il y a effectivement plein de trous dans le système de l'euro ; il faut une crise pour que l'on commence à y réfléchir.
En revanche, réguler la spéculation au plan international est très compliqué. Mais le débat est ouvert, notamment sur le rôle des agences de notation.