Deux libraires ont déniché dans une brocante une photographie du poète français Arthur Rimbaud. "Il apparaît avec une intensité presque gênante, [...] dans sa vérité d'homme terrestre", commente Jean-Jacques Lefrère, spécialiste de Rimbaud.
AFP - La découverte par deux libraires, dans une brocante, d'une photo de bonne qualité d'Arthur Rimbaud donne un visage adulte à "l'homme aux semelles de vent", le poète de génie qui cessa d'écrire pour entreprendre une vie d'aventurier dans de lointaines contrées africaines.
"Rimbaud adulte a un visage...Ce n'est ni le jeune poète de 17 ans immortalisé par la photo de Carjat, ni le bagnard fantomatique amaigri, à l'image très floue d'avant sa mort", commente Jean-Jacques Lefrère, spécialiste de Rimbaud qui a aidé les deux libraires, Jacques Desse et Alban Caussé, a authentifier le cliché à l'issue d'un travail minutieux de deux années.
"Il apparaît avec une intensité presque gênante. C'est le vrai Rimbaud, le personnage dans sa vérité d'homme terrestre, qui fuit l'objectif et tel que personne ne l'a connu, pas même Verlaine", ajoute M. Lefrère auteur de "Arthur Rimbaud, Correspondance Posthume 1891-1900" aux éditions Fayard, qui paraît jeudi avec la photo inédite en couverture. L'ouvrage montre, à travers toute la correspondance sur Rimbaud après sa mort, comment le mythe est né alors qu'il était totalement oublié du public au moment de sa disparition.
La photo, qui n'est pas précisément datée, remonte au "début des années 1880". Elle montre l'auteur du Bateau ivre et des Illuminations, assis au milieu d'un groupe de sept personnes sur la terrasse de l'hôtel Univers à Aden au Yémen. Elle faisait partie d'un lot d'une trentaine d'autres, prises aussi à Aden, et découvertes lors d'une brocante il y a deux ans par les deux libraires, deux jeunes quadras passionnés "d'histoire de livres" et dont la librairie se trouve dans le 18ème arrondissement de Paris .
"On voyait ce type à l'oeil clair qui a l'air d'un extraterrestre au milieu des autres, un peu comme s'il était là et en même temps ailleurs. C'était bouleversant", raconte Jacques Desse à l'AFP.
"L'endroit où nous l'avons acquise et son prix, importent peu. Nous avons eu une intuition. L'extraordinaire, c'est que c'est un peu le chaînon manquant entre la célèbre photo du poète de 17 ans d'Etienne Carjat et quatre autoportraits réalisés dans des conditions très mauvaises avant sa mort en 1891" à 37 ans, ajoute-t-il.
Pour authentifier le cliché, les deux libraires et Jean-Jacques Lefrère ont fait de nombreuses recherches sur le décor, l'entourage francophone de Rimbaud pendant son exil entre Aden (Yémen) et Harar (Ethiopie) où il arrive fin 1880 et devient gérant d'un comptoir, fait commerce d'ivoire, de café, de peaux et d'or.
Autour de lui, notamment "Jules Suel, en costume à carreaux, propriétaire de l'hôtel Univers et qui a cofinancé l'expédition de Rimbaud en 1886 entre Tadjoura, sur la Mer Rouge, et le royaume de Menelik, qui deviendra Négus, roi d'Ethiopie, un an plus tard", raconte M. Lefrère.
"C'était une folle aventure, il s'agissait d'une caravane d'armes dans ce qui était le farwest à l'époque. La caravane précédente avait été massacrée, c'était une épreuve physique terrible, à dos de chameau...", poursuit-il. "Il en était revenu épuisé". Rimbaud mourra en 1891 à Marseille après avoir été amputé en raison d'une tumeur au genou droit.
Tout le travail sur cette période, le vieillissement de la photo de Carjat et l'analyse de l'implantation des cheveux de Rimbaud, ont finalement permis d'authentifier le cliché avec certitude. Il est présenté par les deux libraires avec plusieurs éditions originales de Rimbaud au Salon du livre ancien au Grand Palais à Paris, inauguré jeudi soir et qui dure jusqu'à dimanche.