Réagissant aux rumeurs sur le couple présidentiel, la secrétaire d’État à la famille, Nadine Morano, a suggéré la création d’une "police internationale du Web". L'opinion de Francis Pisani, journaliste et spécialiste d'Internet.
Dans la nuit du 8 au 9 mars, un blog hébergé par le site du "Journal du dimanche" lance une rumeur sur des liaisons extra-conjugales prétées à Nicolas Sarkozy et Carla Bruni-Sarkozy. La blogosphère s’emballe, l’information est reprise sur les réseaux sociaux, puis dans les journaux du monde entier. Le patron de la Direction centrale du renseignement intérieur révèle même qu’une enquête a été lancée. La rumeur se transforme en affaire d’État. Les principaux concernés démentent, le monde politique critique… Internet, où a commencé à circuler l’information, est rapidement pointé du doigt. Francis Pisani, journaliste et spécialiste du Web, analyse le rôle pris par Internet dans l’affaire.
Nadine Morano a déclaré : "Il nous faudra un jour une police internationale d’Internet." Qu’en pensez-vous ?
Francis Pisani : Si on veut devenir comme la Chine, c’est une bonne piste à suivre. Policer internet est possible : là-bas, l’Etat a instauré une police du Web très efficace. Mais ça pose un évident problème de société. L’une des vertus d’Internet est d’encourager la libre parole, je regretterais que la France prenne le risque de mettre fin à cette liberté.
D’autre part, créer une police internationale pour le Web me paraît difficile. L’une des caractéristiques d’Internet est de ne pas être géographiquement localisé. Un État peut décider de légiférer mais il me semble peu vraisemblable que tous les pays du monde réussissent à s’accorder – et veuillent s’accorder – sur une seule législation et sur une seule façon d'en imposer le respect, ce qui est le premier rôle de la police.
Pensez-vous qu’Internet puisse être tenu pour responsable de la rumeur sur le couple présidentiel ?
F.P. : On ne peut pas incriminer le téléphone parce que des gens qui ont commis un crime l’ont utilisé. De la même manière, on ne peut pas mettre en cause des autoroutes parce que des malfaiteurs ont circulé dessus. C’est pareil pour Internet. Ce média pose des problèmes mais n’est pas responsable des informations qui y circulent.
Comme sur d’autres médias, beaucoup d’informations qui circulent sur le Web ne sont pas vérifiées ou sont fausses. La différence, c’est que les informations, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, circulent plus vite que sur les autres médias. Et les journalistes ont une part de responsabilité quand ils reprennent l’information sans faire leur travail de vérification.
Accorde-t-on trop d’importance ou de légitimité aux informations qu’on trouve sur les blogs, réseaux sociaux, etc. ?
F.P. : Il ne s’agit pas d’un problème de légitimité ou de place donnée aux informations qu’on trouve sur le Web, mais d’un problème lié à l’utilisation d’Internet. Je crois surtout qu’il faut que nous apprenions à nous servir du Web. On a accusé le "Journal du dimanche" d’avoir lancé la rumeur sur le couple présidentiel alors qu’en fait, l’information a été postée sur un blog hébergé par le site du JDD. J’ai l’impression que le journal lui-même n’a pas osé divulguer l’info et a utilisé le blog comme un "fourre-tout", un espace qui n’est pas sérieux, où on peut dire des choses qu’on vérifie mal. Les médias traditionnels utilisent les blogs de façon très méprisante ou légère, ce qui est une erreur. Et nous, journalistes, devons encore faire des progrès dans la vérification et dans la gestion de nos sources.