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Journaliste : espèce menacée ?

C’est peut-être le futur pire ennemi des journalistes : le robot-journaliste. La semaine dernière, deux scientifiques américains ont dévoilé leur programme d’intelligence artificielle capable de collecter des données, de les interpréter et d’en tirer des articles. Des machines pour écrire et annoncer les informations, est-ce l'avenir du journalisme ?

Ils ont l’air de deux personnages de dessin animé; leurs voix sont métalliques et très artificielles. Mais le texte que lisent ces “avatars” est, lui, des plus naturels. Pourtant, aucun être humain n'est intervenu dans l'élaboration de cette critique de film, entièrement écrite et lue par la machine.

La "machine" (en fait un logiciel d’intelligence artificielle) est née dans le laboratoire d’information intelligente de l’université Northwestern, près de Chicago, codirigé par Larry Birnbaum et Kris Hammond. Quand nous leurs rendons visite ils jurent qu’ils n’en “veulent nullement aux journalistes” et n’ont pas l’intention de les remplacer par leurs machines... Pourtant, leur projet n’est déjà plus de la science fiction.

Stats Monkey, un système d’intelligence artificiel destiné à transformer des statistiques sportives en article rédigé est même opérationnel depuis quelques jours. Une chaîne de télévision spécialisée dans les sports universitaires, Big Ten Networks, utilise le système pour publier des articles entièrement écrits par ordinateurs. Le résultat n’est pas de la grande littérature, mais “ce sont des informations que vous trouveriez dans des articles que n’importe quel être humain pourrait écrire", assure Chris Malcolm, de Big Ten Networks, ajoutant : « la copie arrive plus vite et sans faute ; c’est beaucoup plus efficace!”.

La machine est allée chercher les statistiques de jeu du match et en a tiré toutes les conclusions pour écrire un compte-rendu factuel, sans fioritures et plus qu'acceptable.

Pour fonctionner, le système a besoin de données chiffrées, qu’il pourra ensuite interpréter pour en tirer un texte. Après le sport, les chercheurs songent à s'attaquer à l'actualité financière, où les chiffres et données peuvent également être transcrits en texte. Bientôt, disent les chercheurs, la machine pourra également intégrer au texte des citations, par exemple récupérées sur internet.

Habitués à répondre aux questions inquiètes des journalistes, Kris Hammond assure qu’il ne voit pas ses ordinateurs remplacer des journalistes en chair et en os, mais plutôt couvrir des domaines que les journalistes humains ne couvrent pas, par manque de main d’œuvre, ou pour des raisons financières, ou pour des raisons d’audience. "Personne, aucun journaliste traditionnel ne va écrire un article, qui va être lu par seulement 100 personnes. Mais la machine elle peut écrire cet article et ces 100 personnes seront très contentes!", se réjouit-il.

D’ailleurs, à quelques pas de là, dans un des symboles de la grandeur passé de la presse américaine, le célèbre Chicago Tribune, les projets des chercheurs ne choquent guère. Il est vrai que la rédaction a déjà perdu la moitié de ses effectifs en quatre ans, mais pour Bill Adee, directeur du numérique au quotidien, “ce qu’ils font peut être très bon pour les journalistes humains; ca va leur permettre de passer plus de temps sur ce qui compte vraiment, le journalisme d’investigation”. Le quotidien s’enorgueillit d’avoir fait tomber les deux derniers gouverneurs de l’Illinois pour corruption. Et ça, veut croire Bill Adee, aucun robot ne peut s’en vanter...

Emission préparée par Kate Williams, Marie Billon et Patrick Lovett