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Les femmes-relais refusent d'être en première ligne dans le débat sur la burqa

L'Assemblée devrait prochainement débattre d'une proposition de loi visant à interdire la burqa en France. Le chef de file des députés UMP, Jean-François Copé, préconise, lui, un travail de sensibilisation par les "femmes-relais" dans les quartiers.

Sur la photo : Aissata, Pinda, Assifa et Nassima (photo : Hasnae Malih).

C’est un quartier à la fois proche et loin de Paris. Dans la cité des Bosquets de Montfermeil, située à 15 km à vol d’oiseau mais à 1h30 de transports en commun de la capitale, l’enclavement fait partie de la vie quotidienne. La mauvaise réputation également : le quartier a été au cœur des émeutes des jeunes de banlieue, en novembre 2005. Les médias l’associent donc volontiers à la violence et aux problèmes d’intégration.

L’intégration, c’est justement la spécialité d’Arifa (Archives de l'immigration familiale), une association de femmes-relais implantée au beau milieu de la cité. La structure est née à la fin des années 1980, à l'époque où ce type d'organisation regroupant des travailleuses sociales issues de l’immigration s'est multiplié dans les quartiers pour tenter de rapprocher les familles immigrées des institutions françaises (santé, justice, éducation, et les services sociaux en général). Dans l’une des dernières barres des Bosquets - le quartier est en cours de réhabilitation - le bureau d’Arifa rassemble, autour de Maryse, la directrice, Nassima, d’origine algérienne, Pinda et Aissata, Maliennes, ou encore Assifa, qui est née au Pakistan. Au total, douze salariées à l’image du quartier, multiethnique.

"On s’occupe des illettrées (90 % des femmes du quartier parlent très peu français), on aide les gens dans leurs démarches administratives, on accompagne les femmes à l’hôpital", explique Nassima, la coordinatrice de l'association. Il faut dire que les travailleurs sociaux ont l’embarras du choix aux Bosquets, où les difficultés sont pléthoriques : 7 000 personnes s'y entassent dans des logements parfois très dégradés, la mixité sociale y est faible, le taux de chômage y atteignait 25 % en 2008, la population étrangère, souvent primo-arrivante, y est très concentrée, et l'enclavement géographique tel que toute tentative pour s'y rendre prend des allures de voyage au long cours (voir, à ce sujet, les données rassemblées dans un rapport de l'Institut Montaigne). En janvier, les femmes-relais ont reçu 240 visites des habitantes du quartier.

"Il faut y aller à petits pas"

L'expérience des femmes-relais, aujourd'hui présentes dans la plupart des quartiers de France dits sensibles, semble intéresser les pouvoirs publics au plus haut point : en juin dernier, le chef de file de la majorité UMP à l’Assemblée, Jean-François Copé, proposait de les envoyer dialoguer avec les femmes portant un voile islamique intégral et leur mari. Objectif : tenter de "comprendre ce qui fait qu'on a pu en arriver là" et expliquer à ces couples les conséquences d’une éventuelle loi interdisant le port de la "burqa" dans les services publics.

Une initiative dans laquelle les femmes-relais de Montfermeil et d'ailleurs voient, au mieux, une méconnaissance, au pire une instrumentalisation de leur travail. "Les femmes qui portent le voile intégral le font par choix religieux, leurs maris ne les forcent pas à le faire. Quand on touche à la religion, l’implication est tellement forte qu’il est possible de dialoguer mais pas de s’opposer", indique Fatima Ould Kaddour, responsable de l’association Schebba, à Marseille. "Le dialogue est long à installer, on est parfois vue comme une menace par certaines communautés, il faut y aller à petits pas", réagit Pinda, de l'association Arifa.

Une grande partie du problème réside effectivement dans cette démarche : le travail de terrain est accompli par les femmes-relais depuis des années, et il est difficile de brusquer les choses simplement pour satisfaire une volonté politique.

Une loi pour quelques centaines de personnes

Reste aussi la question de la pertinence d'un tel texte, compte tenu du nombre de femmes qu'il risque de concerner. "Je n’ai jamais reçu ici de femmes portant la burqa. On n'en compte que quelques-unes aux Bosquets", explique Nassima, pourtant prête à faire de la sensibilisation sur la question… à condition que les femmes voilées soient demandeuses. "Dans les quartiers dont on s’occupe ici - Les Flamants, La Busserine -, il y a très peu de femmes portant un voile intégral, peut-être 4 sur 15 000 habitants environ. J'en connais deux, elles ont une trentaine d’années, et aucune n’est forcée à le faire", précise pour sa part Fatima, à Marseille. Une manière de poser la question du nombre de musulmanes portant le voile intégrale en France, et de la légitimité d’une loi concernant quelques centaines de personnes.

Au mois de juillet 2009, deux notes des renseignements français citées par le quotidien "Le Monde" évoquaient le nombre de 367 femmes portant la burqa ou le niqab dans le pays ; un chiffre passé deux mois plus tard à environ 2 000, sous la plume du ministère de l'Intérieur. "Les femmes qui portent la ‘burqa’, il y en a très peu, et de toute façon elles ne viennent pas nous voir. Aller vers elles pour en parler, cela n'aura pour seule conséquence que de les fermer davantage", conclut Mme Larka, qui s’occupe d’une association de femmes-relais à Belfort.