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Le pouvoir en Guinée se transmet au gré des coups d'État, provoqués depuis 24 ans par l'armée. Pourtant, les militaires n'agissent pas d'un bloc. Clivages ethniques et générationnels menacent les putschistes eux-mêmes.

En passant des mains du "général-président" Lansana Conté à celles du "capitaine-président" Moussa Dadis Camara, le pouvoir en Guinée semble vouloir rester une affaire militaire depuis 24 ans. Lansana Conté est colonel lorsqu’il organise son putsch en 1984, dix jours après la mort du président Sékou Touré. Il est général à sa mort.

 
"L’armée était le socle du pouvoir du président Conté. Mais lui-même s’en méfiait", analyse Olivier Roger, correspondant RFI pour FRANCE 24 à Conakry. "Conté a eu maille à partir avec sa propre armée tout au long de sa carrière. Il s’est ingénié à diviser cette armée, à y entretenir des clivages."

 
Une branche jeune et plus éduquée

Le clivage générationnel est une des principales lignes de fractures. "Dès que l’armée était soupçonnée de velléités putschistes, on s’en prenait à la jeune garde. Cette aile jeune de l’armée, formée notamment en Allemagne ou en France, est plus éduquée que le reste des militaires. Elle s’est toujours sentie maltraitée", explique Olivier Roger. C’est cette branche jeune de l’armée qui a mené le putsch de mardi dernier.

 
Le conflit de générations dans l’armée a éclaté plusieurs fois au grand jour. Au printemps 2007, la jeune garde se soulève pour réclamer le paiement d'arriérés de soldes et une augmentation de leur traitement. Un des meneurs s’appelle Moussa Dadis Camara.

"Lors des grèves et des mutineries de 2007, une jeune génération a cherché à bénéficier de la richesse de la Guinée. Mais ces jeunes militaires se sont sentis abandonnés par la hiérarchie militaire", raconte l’opposant Abdourahmane Macky Bah, conseiller politique du parti d’opposition UFR (Union des forces républicaines de Guinée), interrogé sur FRANCE 24.

 
Le mécontentement a pris de l’ampleur en mai dernier, lorsqu’une révolte a éclaté au sein de l’armée pour obtenir le paiement de primes promises et la libération de militaires détenus. Les mutins ont fini par obtenir gain de cause.

 
Une hiérarchie dominée par les Soussou

 
Le clivage dans l’armée est aussi ethnique. La grande majorité des officiers sont soussou, tout comme l’était Lansana Conté. Les Peuls et les Malinké sont sous-représentés dans la hiérarchie militaire. Cette problématique s’ajoute au conflit de générations : les plus jeunes n'ont pas bénéficié des mêmes avantages que leurs aînés soussou.


Le coup d’Etat au lendemain de la mort du président Lansana Conté, a exacerbé ces tensions. Lorsque les putschistes ont pris la parole, mercredi, c’était pour avouer qu’ils n’avaient pas convaincu l’ensemble des militaires et qu’ils n’avaient pas la maîtrise de la situation. "Certains officiers généraux continuent à reconnaître la légitimité (…) du mandat de l'Assemblée nationale", avait affirmé le capitaine Moussa Dadis Camara. Le chef des putschistes craignait alors que ces officiers n'aient recruté des mercenaires étrangers.

 
Reste à savoir si Moussa Dadis Camara est en mesure de rassembler une majorité de soldats et d’officiers pour asseoir son pouvoir. Dimanche, la junte militaire a commencé le ménage et a mis à la retraite 22 généraux, dont le chef d’état-major des armées, Diarra Camara.

Il faudra aussi que les putschistes convainquent la population sur des arguments politiques plus larges que des querelles infra-militaires. Une grande partie des Guinéens voit l’armée d’un mauvais œil, après avoir souffert de la politique répressive appliquée par les soldats, notamment en janvier et février 2007. Les affrontements entre les grévistes et l’armée avaient fait au moins 180 morts.

 
Abdourahmane Macky Bah, du parti d’opposition UFR, a lancé en début de semaine un appel à la communauté internationale "pour que les militaires n’aient plus le pouvoir." Moussa Dadis Camara a lui-même déclaré jeudi qu’il ne se présenterait pas à l’élection présidentielle, prévue en 2010. Rien ne prouve qu'il compte tenir sa parole.