logo

Raguel Ranfort, 35 ans, a fui les menaces de mort d'un gang et Port-au-Prince dévasté par le séisme. Depuis le 10 février, il est retenu en zone d'attente de l'aéroport de Roissy et risque l'expulsion.

Une brise glaciale balaie le parvis du Tribunal de grande instance de Bobigny, en région parisienne. Un petit groupe bat le pavé en attendant l’ouverture des portes. Ils sont six à attendre que leur ami et leur proche, Raguel Ranfort, passe devant le juge des libertés et de la détention. Raguel est un Haïtien de 35 ans. Il s’est fait arrêter à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle avec un passeport qui n’était pas le sien. Le juge doit statuer sur sa remise en liberté.

L’histoire de Raguel est liée au séisme qui a ravagé son pays le 12 janvier. Le tremblement de terre a fait resurgir son passé. En 2002, alors qu’Aristide est au pouvoir, l’un de ses neveux est kidnappé par des malfaiteurs. Le jeune homme, qui militait dans un parti politique étudiant, n’a jamais été retrouvé. Raguel prend l’affaire à bras le corps et porte plainte. Au bout de plusieurs mois, et de maintes péripéties, il réussit à faire inculper cinq personnes, dont un membre de la police et un juge. Quatre sont condamnées à de lourdes peines de prison. Le juge est relaxé.

“S’il rentre, il risque sa vie”
En janvier, un séisme cataclysmique détruit une grande partie de Port-au-Prince. Comme beaucoup de bâtiments, la prison de la ville ne résiste pas au violent tremblement de terre. Des milliers de détenus s’échappent, dont les quatre responsables de la disparition du neveu de Raguel.

Le matin du 2 février, ils débarquent devant la maison du jeune Haïtien et la mitraillent. Sa sœur reçoit deux balles dans le corps, elle est évacuée et soignée dans l’un des hôpitaux installés par l’aide internationale. Face au danger, la famille décide de fuir Port-au-Prince et s’éparpille dans différentes villes de République dominicaine. Raguel Ranfort achète un passeport, un billet d’avion, et débarque à Paris le matin du 10 février. Il n’a, depuis, toujours pas touché le sol français : il est retenu en zone d’attente.

Les autorités françaises ont tenté de le renvoyer à Saint Domingue dès le lendemain de son arrivée. Raguel a refusé de monter dans l’avion. “S’il rentre, il risque sa vie, même en République dominicaine”, assure Marckenson, son cousin. Il a également refusé de signer tous les procès verbaux rédigés par les autorités françaises.
Sa demande d’asile, faite sans interprète alors que l’homme parle uniquement créole, a été refusée. “La demande est manifestement infondée”, a tranché jeudi le ministère de l’Immigration. Dimanche, face au petit homme aux traits tirés, emmitouflé dans une écharpe multicolore, le juge des libertés et de la détention n’est pas plus indulgent : “Devant les nombreuses incertitudes concernant la nationalité de Raguel Ranfort, il sera maintenu en zone d’attente.”
L"hypocrisie" des autorités françaises
Devant le juge, maître Sylvain Saligari, l’avocat de Raguel, éclate : “Il y a derrière vous sept personnes capables d’attester de la nationalité de mon client. Compte tenue de la situation, obtenir des papiers de l’administration haïtienne va demander des mois, peut être des années ! “L’administration française fait fi de la situation humanitaire, je suis très surpris de l’attitude des autorités françaises”, ajoute l’avocat après l’audience. Mais rien n’y fait. Raguel passera huit jours de plus en zone d’attente. S’il n’est pas expulsé avant.
L’avocat dénonce un système fallacieux : d’un côté, les procédures de reconduites sont annulées mais ne peuvent de toute façon avoir lieu : l’aéroport de Port-au-Prince est inaccessible. De l’autre, des Haïtiens débarquent en situation d’urgence et ne trouvent aucun recours juridique.
“La note de Besson sur la reconduite à la frontière est une belle hypocrisie”, poursuit l’avocat, évoquant la décision du ministre de l’Immigration, au lendemain du séisme, de “suspendre immédiatement toutes procédures de reconduite dans leur pays d’origine des ressortissants haïtiens en situation irrégulière sur le territoire national”.
Raguel repart du tribunal les menottes aux poignets. La bataille n’est pas pour autant terminée. Sylvain Saligari a fait appel de la décision du juge des libertés et de la détention. Il a été rejeté. Mardi, le Tribunal administratif de Paris a étudié le refus, par le ministère de l’Immigration, de la demande d’asile de Raguel. La décision est attendue dans les prochains jours. L’avocat n’est pas très optimiste. “Ça ne va pas être facile”, lâche-t-il.